Dans les manchettes | Espace | Harvey Sands et Martin Gilbert | L’art de transiger – éléments importants pour les acquéreurs et la planification de l’acquisition d’un immeuble à usage mixte

Par : Peng Du, CPA, CA, Vice-présidente, Fiscalité, Richter et Martin Gilbert, LL.B.,Vice-président, Fiscalité

Éditeur : Harvey Sands, CPA, CA, IAS, Conseiller

Les avantages de traverser le labyrinthe fiscal

Contexte :

De nombreuses transactions immobilières se révèlent plus complexes que prévu au départ. Bien que certains y voient seulement un transfert normal d’un terrain et d’immeubles, de nombreux autres détails liés notamment à la conformité et à la planification doivent être pris en compte.

En examinant une acquisition du point de vue fiscal, un simple transfert peut comporter de nombreuses incidences et occasions fiscales pour l’acquéreur.

Pour illustrer notre propos, nous allons décortiquer le transfert d’un immeuble à usage mixte dans un contexte canadien, où le terrain et l’immeuble sont situés au Canada et vendus par un résident canadien. L’acquéreur canadien a initialement acquis le droit d’acheter le bien auprès d’une filiale. Le bien est composé d’une aire de commerce de détail au rez-de-chaussée et, au-dessus, d’unités résidentielles sur plusieurs étages.

Puisque cette transaction est effectuée au Canada, il faut tenir compte de l’impôt sur le revenu ainsi que des taxes à la consommation.

Il est nécessaire de tenir compte des points qui suivent pour ce type de transaction.

1. Répartition du coût d’acquisition

La répartition des coûts ou de la valeur est d’une importance cruciale. Toutefois, comme vous le verrez ci-dessous, les raisons de cette importance et les conséquences de la répartition varient selon que l’on examine la transaction du point de vue de l’impôt sur le revenu ou des taxes à la consommation.

a) Questions de répartition : biens amortissables ou non amortissables

Impôt sur le revenu

Lors d’une acquisition d’actifs, l’acquéreur porte toujours un vif intérêt à la répartition du coût d’acquisition entre les différentes composantes du bien ciblé. Il préférera notamment qu’une plus grande portion du coût soit attribuée aux biens amortissables qui offrent des possibilités de report d’impôt au moyen des déductions pour amortissement (DPA), également appelées un amortissement fiscal. Dans un contexte immobilier, l’acquéreur souhaitera maximiser le coût attribué à l’immeuble amortissable et réduire celui attribué au terrain non amortissable. Il est possible que la répartition du coût importe peu au vendeur, en particulier s’il réalise un gain important.

Les lois et la jurisprudence fiscales donnent aux autorités fiscales le droit potentiel de réattribuer la contrepartie entre les catégories ou les types de biens, si elles jugent que la répartition du coût d’acquisition est déraisonnable sur le plan commercial ou qu’elle ne reflète pas les normes économiques.  Une telle réattribution pourrait être effectuée lorsque le coût d’acquisition total est indiqué comme un montant forfaitaire et qu’aucune répartition n’est convenue entre les parties dans l’entente, ou lorsqu’une valeur est précisée à l’entente pour chaque catégorie ou type de bien et que la contrepartie totale de la transaction est jugée raisonnable, mais que la répartition par composante semble déraisonnable. Ce droit de réattribution crée une position fiscale incertaine pour les deux parties, ce qui a toujours constitué un point litigieux et controversé entre les contribuables et les autorités fiscales. Afin de clarifier sa position, l’Agence du revenu du Canada a confirmé qu’entre des parties sans lien de dépendance, l’entente conclue fournit un bon indice du caractère raisonnable de la répartition du coût, d’autant plus s’il y a des preuves que les parties ont vigoureusement négocié pour arriver à une telle répartition.

Compte tenu de ce qui précède, la meilleure pratique serait de préciser la répartition du coût d’acquisition entre le terrain et l’immeuble dans l’entente d’achat et de vente afin de maximiser la possibilité que l’acquéreur et le vendeur déclarent la transaction de la même manière, et leur entente consignée pourrait être citée advenant une incohérence de leurs déclarations.

Le droit de déterminer une DPA ou un amortissement fiscal sur la durée de détention prévue est crucial pour ce qui est des rendements financiers de l’acquéreur, de la modélisation et de la prise ferme du placement dans le bien immobilier, puisque ces déductions et économies fiscales ont une incidence profonde sur la réalisation des rendements de trésorerie et la disponibilité de liquidités liées aux activités d’exploitation du bien protégées par la dépréciation.

Taxes à la consommation

Les taxes à la consommation doivent être prises en considération en parallèle avec les questions susmentionnées liées aux impôts sur le revenu.

Du point de vue des taxes à la consommation, le terrain et l’immeuble sont considérés comme des biens immobiliers qui entraîneront les mêmes conséquences (c.-à-d. le traitement de la TPS/TVH ou de la TVQ est le même qu’il s’agisse du transfert d’un terrain ou d’un immeuble).  Si le bien était précédemment utilisé à des fins résidentielles (i.e. immeuble d’habitation), il sera vraisemblablement exonéré de la TPS/TVH ou de la TVQ, tandis que dans le cas d’un immeuble commercial, l’acquéreur devra vraisemblablement s’auto-cotiser pour le montant de la TPS/TVH ou de la TVQ de la transaction, puis réclamer des crédits ou remboursements de taxe sur les intrants relativement à ces taxes, le cas échéant. En l’absence de déclarations  d’autocotisation et d’ententes appropriées, un important montant de taxes pourrait être payable.

 b) Questions de répartition : composantes commerciale et résidentielle d’un bien

Impôt sur le revenu

Du point de vue de l’impôt sur le revenu, les composantes résidentielle et commerciale sont toutes deux considérées comme un bien acquis aux fins de production de revenus et sont assujetties aux mêmes règles fiscales sur la DPA durant la période de détention, ainsi que sur la DPA récupérée ainsi que le gain en capital, au moment de la disposition. La seule exception est la suivante : si au moins 90 % de la superficie de l’immeuble acquis est utilisée à des fins autres que résidentielles à compter du 19 mars 2007, l’immeuble pourrait donner droit à une DPA additionnelle de 2 %.  Dans notre scénario, la transaction ne donnera pas droit à cet avantage fiscal additionnel, puisque la composante résidentielle de l’immeuble constitue  la majeure partie de la superficie.

Taxes à la consommation

En vertu des lois régissant la TPS/TVH et la TVQ, la vente d’un complexe résidentiel existant est une fourniture exonérée, tandis que la vente d’un bien commercial est considérée comme une fourniture taxable quoique, tel qu’il est mentionné ci-dessus, le fournisseur pourrait être exempté de percevoir la TPS/TVH ou la TVQ à l’égard de cette fourniture.

De plus, une disposition particulière prévoit que lorsqu’un bien immeuble est composé d’un immeuble d’habitation et d’une autre composante non résidentielle, les deux composantes sont réputées être des biens distincts.

Compte tenu de ces règles, les parties doivent connaître la valeur de la composante résidentielle (exonérée) et de la composante commerciale (taxable, mais assujettie à une autocotisation de l’acquéreur s’il est inscrit aux fins de la TPS/TVH ou de la TVQ).

Cette répartition permettra de déterminer le montant sur lequel l’acquéreur devra s’auto-cotiser pour la TPS/TVH/TVQ (et réclamer des crédits ou remboursements de taxe sur les intrants relativement à ces taxes, le cas échéant).

c) Questions de répartition : bien immobilier et bien meuble corporel

Impôt sur le revenu

En plus du terrain et de l’immeuble, l’acquéreur peut également obtenir  des biens meubles, comme du mobilier,  et des électroménagers d’une valeur importante, ce qui arrive souvent dans le cas des résidences étudiantes, des hôtels, des hôtels de  séjour prolongé et des appartements meublés. Puisque ces biens mobiliers appartiennent à des catégories de DPA comportant des taux de déduction plus élevés, maximiser la valeur d’acquisition attribuée à ces actifs peut procurer de meilleurs avantages fiscaux pour l’acquéreur. Les vendeurs capitalisent rarement ces actifs ce qui, dans ces circonstances,  ne les assujettit pas à la récupération d’amortissement, et ne s’opposeront généralement pas à ce qu’une proportion importante du prix de vente soit attribuée à ces biens meubles. Toutefois, si le vendeur a capitalisé ces actifs, il tentera de négocier qu’une plus petite portion du prix de vente soit attribuée à ces actifs afin d’éviter une récupération de l’amortissement.  Comme c’est le cas pour  la répartition du coût d’acquisition entre le terrain et l’immeuble, le coût attribué au mobilier, et aux électroménagers doit être indiqué clairement dans l’entente d’achat et de vente. Une liste de tous les actifs devrait idéalement être fournie à titre de justificatif.

Taxes à la consommation

Les répartitions entre les divers types d’actifs  détermineront le montant de TPS/TVH ou de TVQ que le vendeur devra percevoir ou les montants assujettis aux règles d’autocotisation, ce qui aura une incidence sur les flux de trésorerie.

Tel qu’il est mentionné précédemment, le transfert d’un  immeuble résidentiel est exonéré de la TPS/TVH/TVQ, tandis que le transfert d’un  immeuble commercial sera vraisemblablement assujetti aux règles d’autocotisation.

Toutefois, tous les biens meubles corporels transférés (tel l’ameublement) seront assujettis à la TPS/TVH ou à la TVQ.

De plus, des règles particulières relatives à la TPS/TVH/TVQ peuvent s’appliquer au transfert de biens meubles acquis dans le cadre d’activités non commerciales (par exemple, d’activités exonérées de TPS/TVH/TVQ) en vertu desquelles le transfert sera exonéré de la TPS/TVH/TVQ.

Compte tenu de ce qui précède, il faut non seulement procéder à une répartition du coût d’acquisition entre les biens immobiliers et les biens meubles corporels, mais également, conformément au paragraphe b) ci-dessus, entre les biens utilisés à des fins commerciales et les biens utilisés à des fins autres que commerciales.

2. Droit d’acquisition d’un immeuble

Impôt sur le revenu

Le droit d’acquérir une participation dans un bien immobilier comme un actif séparé et distinct est de plus en plusrépandu et un tel  actif ou  droit est réputé transférable et négociable dans de nombreuses situations.Un tel droit est traité comme un bien aux fins de l’impôt sur le revenu et, compte tenu de la nature du bien immobilier sous-jacent, est admissible à certains choix fiscaux. Le porteur initial d’un droit peut le transférer à un acquéreur d’une manière pleinement imposable ou avec report d’impôt si l’acquéreur est une société ou une société de personnes canadienne imposable.  Tous les gains réalisés par le porteur des droits seront portés à un compte de capital. Le coût de l’acquisition, soit à la juste valeur marchande du droit advenant une vente directe ou au prix choisi si un choix fiscal est fait, sera ajouté de manière raisonnable aux coûts fiscaux respectifs de l’immeuble et du terrain.

Taxes à la consommation

Bien qu’il soit lié à un immeuble, un droit d’acquérir un bien immobilier résidentiel ou commercial constitue un actif incorporel assujetti à la TPS/TVH et à la TVQ. Par conséquent, la fourniture d’un tel droit constitue une fourniture taxable, et la personne qui fournit un tel droit est tenue de percevoir la TPS/TVH et la TVQ sur la contrepartie chargée pour un tel droit. Dans le cas des immeubles à usage mixte comportant des composantes résidentielle et commerciale, une répartition proportionnelle du droit est fortement recommandée afin de refléter la valeur de chaque composante et de s’assurer que la TPS/TVH et la TVQ peuvent être entièrement récupérées à l’égard de la composante commerciale du droit, et également afin de réduire au minimum le coût lié aux taxes de vente du droit relatif à l’acquisition de la composante commerciale.

Il est important de noter que les autorités fiscales sont arrivées à cette conclusion en s’appuyant sur le Code civil du Québec et que ces règles pourraient différer dans les provinces régies par la common law.

Qui a dit que l’acquisition d’un immeuble n’était qu’une simple question de transfert  ou qu’une question de « taxes payées et récupérées »? La réalité fiscale d’aujourd’hui est un labyrinthe de questions, d’obligations et d’opportunités.