Dans les manchettes | Espace | Vincent De Angelis | Naviguer dans le labyrinthe fiscal : l’entrepreneur et l’immobilier

Par : Vincent De Angelis, CPA, CA, associé, Richter

Avec la contribution de Harvey Sands, CPA, CA, IAS, consultant, Richter; Jenna Schwartz, LL. B., B.C.L., vice-présidente, Richter; et Katherine Borsellino, LL. B, J.D., LL. M. Fiscalité, première directrice, Richter

Article paru initialement dans le magazine Espace Montréal, volume 30, #3, 2021.

L’immobilier est souvent une catégorie d’investissement qui attire les propriétaires d’entreprise prospères, peu importe d’où provient leur patrimoine et la manière dont ils l’ont accumulé. Les biens immobiliers, qu’ils soient résidentiels, commerciaux ou industriels, sont considérés par de nombreux propriétaires d’entreprise prospères comme d’excellents investissements qui font aussi figure de trophées. Il s’agit d’actifs corporels qui peuvent être considérés à la fois comme une rente (en raison de sa capacité à générer des revenus) et comme un générateur de richesse (car la valeur de ces actifs a tendance à augmenter compte tenu de l’offre limitée de terrains). De plus, ces biens immobiliers peuvent être considérés comme transférables d’une génération à l’autre si un bon gestionnaire s’investit tout au long de la détention de ces actifs.

Il y a de nombreuses conséquences fiscales qui devraient être prises en considération afin de comprendre les bénéfices potentiels après impôts et la réalisation des flux de trésorerie provenant du revenu net d’exploitation après impôts. Le tout dépend sur une multitude de facteurs; par exemple, si l’investissement se qualifie comme un bien passif, ou constitue plutôt une entreprise ou est lié à des activités d’exploitation ou si le bien va être détenu à long terme ou à court terme. Ces concepts seront discutés dans cet article, et ce, pour chacune des phases du cycle de vie du bien immobilier. Ceci étant dit, il est primordial de se rappeler que ces conséquences fiscales évoluent avec le temps et que l’évaluation des implications fiscales doit se faire de façon récurrente. À mesure que les attentes à l’égard des biens immobiliers changent au fil du temps, que ce soit en raison de l’évolution des conditions du marché ou simplement en raison de la réaffectation d’une propriété existante, le fardeau fiscal changera aussi.

Les répercussions de la pandémie sur les économies fédérale et provinciales du Canada et la nécessité imminente d’une gestion comptable et fiscale des déficits records engendrés par les mesures de relance en réponse à la pandémie auront certainement une incidence additionnelle sur l’imposition du revenu de placement et la réalisation des gains en capital. Par conséquent, l’imposition et la gestion des risques doivent être prises en compte dans l’acquisition d’actifs et la gestion de portefeuille.

Biens immobiliers locatifs

En ce qui a trait au financement de ces immeubles, l’entrepreneur peut utiliser les fonds accumulés dans une compagnie (ci-après, une « société »). Au moment de l’acquisition immobilière, des questions liées à la structure juridique se posent. Les biens immobiliers devraient-ils être détenus dans une seule société, plusieurs sociétés, dans une société de personnes ou en coentreprise avec d’autres copropriétaires? Qui et quels gestionnaires immobiliers engagera-t-on pour superviser et gérer la propriété? Ces gestionnaires seront-ils employés ou seront-ils des sous-traitants dans une entité distincte? De plus, il est impératif que les revenus générés soient considérés comme du revenu d’entreprise ou du revenu de placement résultant ainsi en une différence dans les taux d’imposition applicables à chacun de ces types de revenu.

Chaque décision prise aura une incidence sur les implications fiscales. Une bonne compréhension des enjeux ayant une implication sur le fardeau fiscal peut aider à maximiser les revenus après impôts. Étant donné qu’il y a plusieurs combinaisons d’entités et de structures juridiques qui existent, pour le reste de cet article, nous supposerons que notre entrepreneur canadien se lance dans des acquisitions immobilières en utilisant une société canadienne pour acheter des biens immobiliers au Québec en 2021.

Si le bien immobilier acquis vise à générer des loyers, la société canadienne peut être assujettie à divers taux d’impôt qui devront être appliqués à ses revenus imposables. Dans un scénario de base où l’entreprise génère un bénéfice net d’exploitation et a peu d’employés, elle sera assujettie au taux le plus élevé d’impôt sur le revenu des sociétés. Ce taux élevé vise à répliquer le taux d’impôt sur le revenu comme si l’actionnaire individuel percevait directement les loyers. Par exemple, un particulier résidant au Québec qui gagne un revenu net d’exploitation sera imposé au taux marginal d’imposition le plus élevé, soit 53,31 %. Si une société qui perçoit certains loyers est assujettie au taux élevé de l’impôt sur le revenu des sociétés, son taux d’imposition sera de 50,17 %.

Le taux d’imposition des sociétés le plus élevé de 50,17 % comprend, entre autres, un impôt remboursable administré par le gouvernement fédéral. Une fois que la société verse un dividende imposable à son actionnaire dans le cadre de la redistribution de ses bénéfices après impôt, elle peut avoir droit à un remboursement d’impôt. Cela a pour effet de ramener le taux d’imposition de la société de 50,17 % à 19,5 % après le remboursement d’impôt. En supposant que la société verse le dividende à l’entrepreneur individuel, le taux d’impôt sur le revenu des particuliers applicable au dividende serait de 48,07 %. En fin de compte, si la société gagne un revenu net de 100 $, cela représenterait 41,84 $ dans la poche de l’entrepreneur après la distribution. Enfin, c’est moins que si l’entrepreneur gagnait ces revenus personnellement, nonobstant le report de l’impôt sur le revenu. Dans l’ensemble, la différence représente le coût associé au fait de gagner un revenu passif dans une société à moyen terme.

Si la société qui touche des loyers emploie plus de cinq employés à temps plein, le taux d’imposition de la société est réduit. Ce critère de « plus de cinq employés à temps plein » semble correspondre à la limite où le législateur considère qu’un immeuble locatif cesse d’être un simple investissement passif et devient une « entreprise », en quelque sorte. À ce stade, le taux d’imposition de la société passe de 50,17 % à 26,5 %. Cette différence importante dans les taux composés d’une année à l’autre pourrait permettre à l’entrepreneur de conserver plus de bénéfices non distribués et de les utiliser dans le cadre d’acquisitions immobilières supplémentaires.

Bien que le critère de « plus de cinq employés à temps plein » semble constituer une délimitation claire, il a donné lieu à plusieurs litiges entre les autorités fiscales et des contribuables. Voici des exemples de questions qui ont été soulevées : si un bien est détenu en copropriété, est-ce que chaque propriétaire peut réclamer sa part des employés dans son nombre respectif? Combien d’heures de travail correspondent à un emploi à temps plein?

De même, d’autres exceptions s’appliquent au critère de « plus de cinq employés à temps plein ». Par exemple, si une société se fait charger un frais de gestion par une société du même groupe et qu’il est « raisonnable de penser » que ces frais équivalent à l’emploi de plus de cinq employés, elle peut tout de même être admissible au taux d’imposition plus bas. De plus, si des loyers sont facturés par une société à une autre société du même groupe et que cette société exploite une « entreprise exploitée activement », la société peut être admissible au taux d’imposition des sociétés plus bas.

Enfin, un changement d’actionnaires d’une société peut avoir une incidence sur les taux d’imposition applicables à cette société. Cela peut être le cas lorsque l’un des actionnaires est un non-résident du Canada. Il est important de prendre cette question en considération lorsqu’on établit une structure de détention de la propriété.

Gérer le taux d’imposition d’une société est une tâche importante, car une baisse de l’impôt sur le revenu donne lieu à une accumulation plus rapide de la richesse pour l’entreprise. La gestion, sur une base annuelle, des taux d’imposition d’une société est un élément fondamental de la création de richesse pour l’entrepreneur qui investit dans l’immobilier.

Changement de vocation

La pandémie mondiale de COVID-19 est un exemple d’événement qui change la vocation des biens immobiliers. Il n’est pas inhabituel de voir des propriétés qui étaient des propriétés commerciales locatives devenir des copropriétés résidentielles. Ce changement aura naturellement une incidence sur les loyers perçus à mesure que les baux commerciaux seront liquidés ou rachetés lors de la réaffectation des propriétés, mais aussi sur le caractère imposable de toute appréciation de la valeur des biens immobiliers eux-mêmes.

Comme la plupart des gens le savent, le taux d’imposition des gains en capital est avantageux au Canada. Un gain en capital est déterminé en soustrayant le coût fiscal et tous les coûts d’aliénation de la propriété de son produit de disposition. Les gains en capital entraînent un taux d’inclusion de 50 % et, pour les sociétés canadiennes, cela équivaut à un taux d’imposition réel de 25,1 %. Dans le contexte d’une société canadienne, ces gains peuvent également contribuer au « compte de dividendes en capital » de la société. Ce compte est augmenté de 50 % de tout gain en capital réalisé par la société. Il permet à un actionnaire de retirer des fonds de l’entreprise sans avoir à payer d’impôt personnel jusqu’à concurrence du solde de ce compte. Compte tenu de ces avantages fiscaux, les gains en capital sont un traitement recherché dans la gestion de la propriété d’un bien immobilier.

Si l’appréciation de la valeur d’une propriété n’est pas admissible au traitement des gains en capital, elle sera imposable au taux actif normal de 26,5 % de la société (si les revenus dépassent 500 000 $) et ne générera pas de contribution au compte de dividendes en capital qui pourra être payé libre d’impôt.

La question de savoir si la vente finale d’un actif immobilier constitue un gain en capital ou simplement un revenu est une question de faits. Bref, il n’y a pas de critère clair pour statuer à cet égard et, à cette fin, il est impératif d’examiner l’historique du bien immobilier. Quelle était l’intention de l’acheteur en acquérant la propriété? D’en tirer un revenu, comme des loyers, ou d’en générer un revenu, au moyen de la vente rapide de la propriété elle-même? Quelle était la période de détention de la propriété? Quelle est l’expertise de l’entrepreneur? Bien sûr, certains cas sont plus évidents que d’autres; par exemple, lorsqu’un immeuble locatif détenu pendant des dizaines d’années est vendu à un acheteur. D’autres cas sont plus complexes et exigent un examen plus approfondi des nombreuses décisions des tribunaux.

Le changement de vocation du bien immobilier pendant sa détention peut avoir une incidence sur l’imposition du gain lors d’une vente future et il sera important de protéger le traitement fiscal préférentiel accordé aux gains en capital. Pour poursuivre avec l’exemple ci-dessus, si une propriété locative fait l’objet d’une conversion en unités résidentielles pour une revente, le gain en capital accumulé jusqu’à ce point peut être compromis. L’Agence du revenu du Canada offre un certain allégement pour protéger le traitement des gains en capital jusqu’au changement de vocation, mais on doit s’assurer de bien comprendre cet allégement et de l’appliquer avec prudence.

Vente de biens immobiliers

Que ce soit pour financer l’achat d’une autre propriété ou pour saisir une opportunité, la vente d’un bien immobilier peut entraîner des implications fiscales importantes, soit en générant un gain en capital ou un revenu d’entreprise. Si le bien immobilier a été acheté pour en tirer un revenu de location, de l’amortissement annuel a sans doute été pris. Ainsi, il peut y avoir une récupération d’amortissement qui sera imposable lors de la vente de l’immeuble. Si la société était assujettie aux taux d’imposition passifs (soit le 50,17 % mentionné ci-dessus), cette récupération d’amortissement sera assujettie au même taux d’imposition. Par contre, si les revenus étaient assujettis au taux actif (soit le 26,5 % mentionné ci-dessus), ce même taux sera applicable à la récupération d’amortissement

Résumé

Tel que discuté ci-dessus, il y a des avantages immédiats et à long terme résultants d’une bonne gestion des implications fiscales des biens immobiliers. Il s’agit notamment de structurer et d’assurer le suivi des activités de l’entrepreneur et de son portefeuille immobilier pour permettre la maximisation du bénéfice net d’exploitation après impôt et l’accumulation de richesse.