Dans les manchettes | Espace | Harvey Sands et Audrey Mercier | Comprendre ce que la nouvelle norme signifie pour les principaux preneurs

Article paru initialement dans le magazine Espace Montréal.

Audrey Mercier, CPA auditrice, CA, CFE, CFF  
Vice-présidente, Audit

Harvey Sands, CPA, CA, IAS.A
Partner, Audit

L’International Accounting Standard Board (« IASB ») et le Financial Accounting Standards Board (« FASB ») ont publié conjointement une nouvelle norme comptable sur les contrats de location. Cette nouvelle norme sera applicable à toutes les sociétés ouvertes et les entités ayant une obligation publique de rendre des comptes à compter du 1er janvier 2019.

Selon la nouvelle norme, les sociétés devront comptabiliser et présenter la plupart des contrats de location comme un actif au titre des droits d’utilisation et une obligation locative dans le bilan. Il s’agit d’un changement important par rapport à la pratique actuelle, laquelle permet qu’une grande portion des contrats de location soit utilisée comme produits de financement hors bilan. Les entités ayant un nombre important de contrats de location, comme les détaillants, les entreprises de télécommunications, les institutions financières, les compagnies d’assurance, les agences gouvernementales et autres grandes sociétés ouvertes seront considérablement touchées. Elles devront ajuster de manière importante leurs états financiers, ce qui est susceptible d’avoir une incidence significative sur leurs clauses restrictives financières auprès de leurs prêteurs, de leurs porteurs d’obligations, de leurs porteurs de capitaux propres et de leurs propriétaires.

Les sociétés immobilières qui sont des bailleurs ne seront pas touchées par cette nouvelle norme étant donné que la comptabilisation des bailleurs n’a pas changé. Cependant, elles seront indirectement touchées dans le cadre de leurs négociations avec leurs preneurs. Alors que les preneurs préparent et planifient ces changements, les propriétaires et les courtiers immobiliers doivent comprendre les enjeux de la nouvelle norme. Les preneurs qui effectueront une planification adéquate auront un avantage au niveau de la concurrence et de la réputation.

Bien que la plupart des décisions de location ne reposent pas uniquement sur des objectifs comptables, les entreprises considèrent généralement l’incidence comptable lorsqu’ils établissent leurs politiques immobilières et mettent au point leurs contrats de location. Par conséquent, il est important de comprendre les changements annoncés afin de pouvoir contribuer aux négociations des contrats de location.

Sommaire des nouvelles exigences

Avant d’aborder les conséquences particulières des nouvelles exigences sur la négociation des contrats de location, il est nécessaire de présenter un aperçu de haut niveau des changements.

Comptabilisation du preneur

Par le contrat de location, le preneur obtient le droit d’utiliser un bien à la date de début du contrat et, si les paiements de loyers sont effectués au fil du temps, il peut également obtenir du financement. Ainsi, la nouvelle norme élimine le classement des contrats de location en contrats de location-exploitation et en contrats de location-financement, lequel était auparavant obligatoire. Elle établit plutôt un modèle unique de contrat de location pour les preneurs semblable à l’ancien modèle de contrats de location-financement. En appliquant ce modèle, le preneur doit comptabiliser les actifs et les passifs de tous les contrats dont la durée est de plus de 12 mois, à moins que le bien sous-jacent soit de moindre valeur. Plus précisément, le preneur comptabilisera dans le bilan une obligation locative et un actif au titre des droits d’utilisation à la date de début du contrat de location.

L’obligation locative sera évaluée à la valeur actualisée des paiements de loyers futurs conformément au contrat de location. Les paiements de loyers futurs comprendront :

  • les paiements fixes;
  • les paiements de loyers variables qui sont fonction d’un indice ou d’un taux;
  • les sommes à payer au titre de garanties de valeur résiduelle;
  • les pénalités exigées en cas de résiliation du contrat de location;
  • le prix d’exercice de l’option d’achat que le preneur a la certitude raisonnable d’exercer.

La période à considérer dans le calcul est la période non résiliable de la location ainsi que toutes les options visant à prolonger la durée de contrat que le preneur a la certitude raisonnable qu’il exercera. Les paiements de loyers futurs seront actualisés à l’aide du taux d’intérêt implicite du contrat de location (s’il peut être déterminé facilement) ou du taux marginal d’endettement du preneur.

L’actif au titre des droits d’utilisation sera évalué au coût. Le coût de l’actif au titre des droits d’utilisation comprendra le montant initial de comptabilisation de l’obligation locative, les paiements versés avant la date de début du contrat de location, tous les coûts directs initiaux et les coûts engagés à la fin du contrat pour remettre le bien dans l’état exigé par les termes et les conditions du contrat de location.

Dans l’état des résultats, pendant la durée du bail, le loyer et les charges locatives seront remplacés par la dépréciation de l’actif au titre des droits d’utilisation et des frais d’intérêt de l’obligation locative. La dépréciation sera comptabilisée selon la méthode de l’amortissement linéaire alors que les intérêts seront comptabilisés comme une charge décroissante. Les grandes entreprises importantes dotées de portefeuilles stables de contrats de location seront bien outillées pour faire face à cette charge décroissante. Toutefois, les effets pourraient être considérables pour les entreprises en pleine croissance ou les entreprises qui amorcent une actualisation importante de leur portefeuille de biens loués.

L’exemple présenté ci-dessous illustre l’incidence de la nouvelle norme sur le bilan et l’état des résultats d’une entreprise donnée.

Bilan et état de résultats, ancien et nouveau

Comptabilisation du bailleur

La comptabilisation du bailleur ne fait l’objet d’aucune modification importante dans le cadre de la nouvelle norme. Les bailleurs continueront de classer leurs contrats de location comme des contrats de location-exploitation et des contrats de location-financement et de comptabiliser ceux-ci différemment.

Incidence sur la négociation des contrats de location

Achat par rapport à location

Selon la nouvelle norme comptable, la différence entre louer ou acheter une propriété sera moindre étant donné que les deux situations donneront lieu à un passif dans le bilan. Certaines entreprises pourraient vouloir réévaluer les avantages de la location par rapport à l’achat de biens. Toutefois, les avantages pratiques de la location, tels la souplesse opérationnelle, les paiements réguliers et le faible risque de désuétude, demeureront les mêmes.

Sur une base individuelle, les entreprises qui ont l’habitude de conclure des contrats de location à long terme ou qui louent des biens essentiels à leurs activités pourraient choisir d’acheter le bien, car les avantages liés au contrôle opérationnel et professionnel sont susceptibles de l’emporter sur les avantages de comptabilisation en vertu de la nouvelle norme.

Dans l’ensemble, nous ne prévoyons pas d’important changement sur le plan de la location. Cependant, les termes et les conditions des contrats de location pourraient être modifiés afin de réduire l’incidence de la nouvelle norme.

Durée du contrat de location

L’ampleur de l’obligation découlant du contrat de location comptabilisée dans le bilan sera directement liée à la durée non résiliable du contrat de location. La durée non résiliable est généralement définie comme la durée minimale fixe du contrat de location et les options que le preneur a la certitude raisonnable qu’il exercera.

Par conséquent, les preneurs devront évaluer l’avantage de réduire le passif dans le bilan à l’aide de durées de location plus courtes, par rapport à ceux qu’offrent les durées de location plus longues, soit la sécurité opérationnelle, la réduction des risques du marché de location, et une plus longue période pour amortir les frais afférents au capital.

Incitatifs

La définition des paiements de loyers ne comprend pas les incitatifs à la location tels que les périodes de location gratuites et les avantages incitatifs. Ces incitatifs diminuent l’obligation locative comptabilisée dans le bilan et les paiements de loyers comptabilisés dans l’état des résultats. Il est également important de noter que cette incidence comptable favorable est plus avantageuse qu’une réduction de loyer équivalente sur la durée complète du bail. Par conséquent, dans le cadre de la nouvelle norme, nous prévoyons que les preneurs choisiront les incitatifs à la location initiaux plutôt que les incitatifs compris dans la durée du bail.

Paiements fixes et variables

La définition des paiements de loyers ne comprend pas certains paiements variables tels que les paiements variables déterminés par le montant des ventes réalisées par un magasin loué. Cela aura clairement une incidence positive sur l’obligation locative comptabilisée dans le bilan et sur les paiements de loyers comptabilisés dans l’état des résultats, lesquels reposeront uniquement sur le loyer fixe. Étant donné cet avantage, nous prévoyons que les preneurs demanderont des paiements de loyers variables (aussi appelés « paiements de loyers en fonction du chiffre d’affaires ») lorsque cela sera possible. Pour les détaillants en particulier, il s’agira d’un moyen efficace de réduire l’incidence de la nouvelle norme.

Composantes locatives et non locatives d’un contrat

Certains contrats de location comprennent à la fois une composante locative et une composante de services (p. ex. l’entretien). La composante de services est comptabilisée séparément de la composante locative et n’a pas besoin d’être intégrée à l’obligation locative dans le bilan. Les paiements devront donc être répartis entre la composante locative et la composante de services. Les preneurs pourront demander aux bailleurs de les aider en établissant des prix distincts pour les composantes non locatives. Ainsi, les preneurs pourront évaluer et réduire l’incidence sur leurs états financiers. Les bailleurs pourraient se montrer réticents à divulguer cette information pour des raisons de propriété commerciale.

Révision ultérieure du loyer

Plusieurs contrats de location sont dotés de mécanismes de révision du loyer afin de s’ajuster au prix courant. Voici trois mécanismes communs :

  1. Paiements liés à un indice (par ex. augmentation annuelle de l’IPC).
    Au jour 1, l’obligation locative et les paiements de loyers seront calculés en supposant que les paiements futurs seront établis au prix courant du loyer.
  2. Révision des loyers sur le marché (p. ex., tendance à la hausse sur cinq ans).
    Au jour 1, l’obligation locative et les paiements de loyers seront calculés en supposant que les paiements futurs seront établis au prix courant du loyer.
  3. Augmentations fixes (p. ex., 2,5 % annuellement)
    Au jour 1, l’obligation locative et les paiements de loyer seront calculés en tenant compte de toutes les augmentations futures, ce qui augmente les valeurs comptabilisées.

Par conséquent, les obligations locatives et les paiements de loyers des contrats de location liés à un indice ou à une révision des loyers sur le marché seront respectivement moins élevés dans le bilan et dans l’état des résultats. Toutefois, ces contrats de location devront être réévalués chaque fois que les paiements de loyers changeront, ce qui augmentera la quantité d’opérations comptables. D’une manière générale, on s’attend à que le choix des mécanismes repose sur des raisons commerciales et opérationnelles plutôt que sur la logique comptable et varie d’un marché à l’autre.

Vente et cession-bail

À l’heure actuelle, la vente et la cession-bail sont une méthode courante d’obtenir des capitaux « hors bilan ». Lorsqu’une entité vend un bien à une société immobilière et le loue par la suite à un loyer convenu, elle améliore ses capitaux propres et réduit sa dette dans ses états financiers.

Selon la nouvelle norme, cette méthode n’offrira plus de financement « hors bilan », étant donné qu’une obligation locative devra être comptabilisée. Par conséquent, l’avantage comptable de la vente et la cession-bail s’en trouvera réduit. D’un point de vue opérationnel, ce type de transaction sera encore valide en tant qu’autre source de financement et devrait continuer d’exister, mais on prévoit qu’il sera moins utilisé.

Conclusion

La nouvelle norme représente un changement important dans la comptabilisation des contrats de location dans les états financiers. Les décideurs de haut niveau sont susceptibles de démontrer un regain d’intérêt pour les négociations des contrats de location en raison de l’incidence potentielle des conditions des contrats de location distincts sur leurs résultats financiers. Les propriétaires d’immeubles commerciaux locatifs, les courtiers immobiliers et les promoteurs immobiliers devront se tenir prêts à faire face à cette nouvelle réalité. Le parti pris et les demandes des preneurs pour des durées de location plus courtes et des paiements variables pourraient malheureusement faire en sorte que les revenus des bailleurs soient plus imprévisibles.

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