Allègement fiscal et autres mesures d’aide gouvernementales visant à encourager la construction de logements résidentiels

Par : Martin Gilbert, LL.B., associé

Avec la contribution de Stéphanie Lincourt, CPA auditrice, associée

Article paru initialement dans le magazine Espace Montréal, volume 32, #4, 2023.

Mise en contexte

Il y a déjà un certain temps que l’on entend parler de « la crise du logement ». Plus particulièrement de la difficulté pour les locataires de trouver des logements abordables.

Toutefois, la montée des taux d’intérêt et l’augmentation des coûts de construction, que ce soit de la main-d’œuvre ou des matériaux, ont fait en sorte de diminuer grandement le nombre de mises en chantier d’immeubles locatifs résidentiels.

Devant cette situation, les gouvernements ont mis de l’avant divers mesures et programmes visant à encourager la construction de logements résidentiels.

Le présent article traitera donc des mesures proposées en relation avec la Taxe sur les produits et services et de la taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) ainsi que de différents autres programmes qui, bien qu’ils ne soient pas de nature fiscale, peuvent s’avérer intéressants pour les acteurs du domaine de l’immobilier.

 

Bonification du remboursement de la TPS pour immeubles d’habitation locatifs au Canada

En vertu des règles applicables en TPS/TVH et TVQ, lorsque la construction d’un immeuble résidentiel à logements multiples est achevée en grande partie et que le premier locataire prend possession de son appartement, le constructeur est tenu de remettre la TPS/TVQ sur la juste valeur marchande de l’immeuble aux autorités gouvernementales. Cette TPS/TVH/TVQ constitue un coût additionnel pour le constructeur. Par contre, le constructeur peut demander un remboursement partiel de la TPS pour immeuble d’habitation locatif neuf.

Avant l’annonce de la bonification dont nous traiterons dans quelques instants, ce remboursement était limité à 36 % de la TPS jusqu’à un maximum de 6 300 $. De plus, aucun remboursement partiel de TPS n’était disponible lorsque la valeur de l’unité d’habitation excédait 450 000 $.

Le 14 novembre 2023, Finances Canada a annoncé la bonification temporaire de ce remboursement de la TPS.

Tout d’abord, une mise au point s’impose. Divers médias ont parlé de cette mesure comme étant un remboursement ou une exonération de la TPS sur les matériaux de construction. Ce n’est pas tout à fait exact.

Il s’agit plutôt d’une bonification du remboursement de la TPS pour immeuble d’habitation locatif neuf que nous avons décrit ci-dessus. En vertu de cette bonification temporaire, pour les logements admissibles, ce remboursement de TPS sera de 100 % de la taxe payée (plutôt que 36 %) et le seuil de 450 000 $ ne s’appliquera plus. C’est donc dire que la TPS payée sur les coûts de construction ne constituera plus un coût devant être supporté par les constructeurs.

Afin de se qualifier au remboursement complet de la TPS, les conditions suivantes devront être remplies :

  • La construction doit débuter après le 13 septembre 2023 et avant le 1er janvier 2031.
  • La construction doit être achevée au plus tard le 31 décembre 2035.
  • Les immeubles devront comporter au moins quatre appartements privés ou au moins dix chambres ou suites privées.
  • Au moins 90 % des logements sont destinés à la location à long terme.

 

À la date de la rédaction de cet article, nous étions toujours en attente de précision quant à la détermination de ce que constitue la date du début de la construction (par exemple, s’agit-il de la date de la première pelletée de terre ou de toute autre date?) À titre d’information seulement (et nous tenons à préciser que l’ARC n’a donné aucune indication qu’il s’agissait de sa position), le bulletin d’information de l’ARC B-087 traitant du remboursement partiel de la TPS/TVH pour immeubles d’habitation locatifs neufs indique : « En général, la construction est considérée commencée au moment où les travaux d’excavation se rapportant à l’immeuble d’habitation commencent. »

Les projets visant la conversion d’un immeuble commercial existant (par exemple, un immeuble de bureaux) en immeuble d’habitation peuvent également bénéficier du remboursement bonifié si les conditions énumérées ci-dessus sont remplies.

De plus, la ministre des Finances a également confirmé qu’une personne qui est une coopérative d’habitation aura droit au remboursement bonifié lorsque certaines conditions sont remplies.

Il est à noter que le remboursement bonifié ne s’applique pas aux logements en copropriété (condominiums).

TVH Ontario

Le 1er novembre 2023, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il suivrait le gouvernement fédéral et bonifierait le remboursement de la portion provinciale de la TVH afin que ce remboursement soit également de 100 %. C’est donc dire que, pour les immeubles locatifs construits en Ontario à compter du 13 septembre 2023, un remboursement total de la TVH (au taux de 13 %) sera consenti aux constructeurs.

Ces mesures devraient être prises en considération dans l’élaboration de vos plans d’affaires, budgets et projections de projet, car il s’agit d’une réduction de coûts importante.

Vous noterez que ces bonifications s’appliquent sans distinction quant à la valeur des unités d’habitation construites et ne visent pas particulièrement la construction de logements à loyers abordables.

 

TVQ 

Le gouvernement du Québec n’a pas annoncé de bonification au remboursement partiel de la TVQ pour les propriétaires d’un immeuble d’habitation locatif.

C’est donc dire que le remboursement partiel de 36 % ne pouvant dépasser 7 182 $ par unité d’habitation demeure inchangé. De plus, ce remboursement partiel devient nul si la valeur de l’unité d’habitation dépasse 225 000 $.

 

Autres programmes de soutien

Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ)

Ce programme, parrainé par la Société d’habitation du Québec, appuie financièrement des projets de logements locatifs abordables destinés à des ménages à revenu faible ou modeste ainsi qu’à des personnes ayant des besoins particuliers en habitation.

L’aide offerte peut prendre la forme d’une subvention de base calculée à partir du coût de construction de la superficie admissible auquel est appliqué un taux de subvention de 10 % à 60 %. Des subventions additionnelles peuvent également être disponibles. Lorsqu’un projet se qualifie pour ce programme, le propriétaire de l’immeuble doit s’engager à ce que les loyers chargés soient égaux ou inférieurs aux « loyers maximaux » (et ces loyers maximaux sont fixés par la SHQ et ajustés chaque année).

Sur le terrain, les entrepreneurs nous mentionnent toutefois que plusieurs embûches peuvent survenir en cours de processus ayant pour effet de retarder considérablement les projets.

Dans un premier temps, le processus en vertu duquel la SHQ complète et prépare la Demande d’aide financière (« DAF ») est long et compliqué, ce qui peut souvent donner lieu à des erreurs. Par exemple, des erreurs dans le calcul des superficies surviennent à plus d’une reprise, ayant pour effet de modifier la subvention octroyée de façon considérable, ce qui peut mettre en péril l’équation financière des projets. De plus, recevoir la version finale de la DAF avec le montant de subvention octroyé est également très long (environ 1 an). Ce type de délai a un impact et retarde les démarches de financement.

Dans un deuxième temps, puisque l’on parle de financement, la SHQ a informé les demandeurs que sa subvention devait être garantie par une hypothèque de 1er rang si le prêteur n’était pas l’institution financière désignée par la SHQ. Cela implique donc que le créancier traditionnel, par exemple l’institution financière habituelle du demandeur, et par le fait même, la SCHL qui garantit le prêt dans le programme APH SELECT, doit accepter d’être en 2e rang. Cette exigence additionnelle vient ajouter à la complexité d’attacher le financement dans un projet.

Des discussions sur un pari passu peuvent avoir lieu, mais la valeur des immeubles ne permet souvent pas que le plein montant des deux créances se retrouve en 1er rang.

Ainsi, on oblige indirectement les demandeurs à s’adresser à l’institution financière désignée par la SHQ pour attacher leur financement. Cependant, il peut arriver que le taux proposé par cette institution financière soit moins avantageux que celui obtenu avec un prêteur différent et APH SELECT (dont nous discuterons ci-dessous).

Dans la situation actuelle, lorsque nous additionnons les taux d’intérêt élevés, les coûts de construction qui ont augmenté, le coût élevé d’acquisition des terrains ainsi que les taux de loyers permis dans le cadre du PHAQ, l’équation financière n’est souvent pas viable. En plus du fait que le demandeur doit souvent injecter une mise de fonds importante (ce qui est difficile pour les organismes qui font du logement social), il reste un manque à gagner important.

 

Il faut donc que le demandeur tente de combler ce manque à gagner par la mise en place d’un capital patient qui permettrait de finaliser le cadre financier. Le tout peut s’avérer difficile, car peu d’institutions financières sont prêtes à accorder du capital patient. Le programme n’est donc pas autoportant.

 

On nous suggère qu’une révision de ce programme à la hausse ainsi que la mise en place par le gouvernement d’un outil financier pour régler la question du « manque à gagner » (capital patient) seraient les bienvenus.

 

Subvention des villes

Les projets se qualifiant pour le PHAQ donnent également droit, en plus de la subvention de la SHQ, à une subvention des villes où les projets de logements sociaux seront construits. Cette subvention municipale représente 40 % du montant de la subvention octroyée par la SHQ.

Une entente est également intervenue entre la Société d’habitation du Québec (« SHQ ») et le Fonds de solidarité FTQ pour la construction de logements abordables. Les villes sont également parties prenantes et subventionneront ces projets en octroyant une subvention additionnelle représentant 40 % du montant octroyé par le Fonds de solidarité FTQ.

Finalement, une entente similaire est intervenue entre la SHQ et Desjardins. Toutefois, il est à noter que pour les projets bénéficiant de cette entente avec Desjardins, les villes ont une certaine discrétion sur le montant de subvention municipale, ce qui peut entraîner un montant de subvention moins élevé, ce qui peut, encore une fois, mettre certains projets en péril.

 

Programme APH SELECT

Ce programme permet aux développeurs d’obtenir un taux d’intérêt réduit et une période d’amortissement de 50 ans étant donné que la Société canadienne d’hypothèques et de logement (« SCHL ») assure le prêt en faveur du créancier hypothécaire. Ces deux allègements aident beaucoup à faire fonctionner les équations financières. Cependant, les délais de réponse de la SCHL peuvent être de 4 à 24 semaines, ce qui peut retarder considérablement un projet. Si le délai de réponse de la SCHL est trop long, il est fort possible que le prix soumissionné par l’entrepreneur général ne tienne plus (les prix soumis par les entrepreneurs généraux sont souvent gelés pour une période de 60 jours) et le développeur doit en quelque sorte retourner à la table à dessin et risque de se retrouver avec un prix plus élevé.

Les entrepreneurs actifs dans la sphère de l’habitation abordable apprécieraient grandement un accès direct à la SCHL lorsqu’il s’agit de projets de logements sociaux.

Vous comprendrez que cet article ne saurait prétendre constituer une liste exhaustive. De plus, les différents paliers de gouvernement nous indiquent qu’ils vont continuer d’investir des montants importants afin de stimuler la construction de logements résidentiels. Nous pouvons donc nous attendre à ce que de nouveaux programmes voient le jour.