Comment les fabricants canadiens de produits alimentaires réagissent aux tarifs douaniers américains
Alors que les tensions commerciales mondiales s’intensifient et que les politiques tarifaires des États-Unis suscitent davantage d’incertitude, les fabricants et distributeurs canadiens de produits alimentaires sont confrontés à des défis de plus en plus importants. Après avoir consulté des dirigeants de l’ensemble du secteur, nous avons décrit comment les opérateurs font face aux pressions sur les coûts, à l’instabilité de la chaîne d’approvisionnement et à l’incertitude stratégique, et ce qu’ils peuvent faire pour surmonter la situation qui s’annonce.
L’impact grandissant des politiques tarifaires américaines sur le secteur alimentaire canadien
L’administration Trump a radicalement bouleversé le commerce mondial par le biais de politiques tarifaires imprévisibles et incohérentes. Bien que positionnées pour corriger les déséquilibres commerciaux perçus, ces politiques impactent aussi bien les alliés que les rivaux, et ont introduit une nouvelle ère d’incertitude, perturbant les relations de longue date avec les fournisseurs, modifiant les décisions d’approvisionnement et déstabilisant le commerce transfrontalier.
Les transformateurs, fabricants et distributeurs canadiens de produits alimentaires qui se remettent encore des perturbations causées par la pandémie doivent maintenant faire face à des défis de plus en plus importants, car les tarifs douaniers augmentent le coût des matières premières et ajoutent de la volatilité à l’approvisionnement et à la logistique.
« Les droits de douane sont considérés comme inopportuns et contre-productifs, en particulier après une pandémie. » – Distributeur de services alimentaires
Principaux défis auxquels sont confrontés les exploitants canadiens du secteur alimentaire
- Forte dépendance vis-à-vis du commerce avec les États-Unis – Les transformateurs, fabricants et distributeurs canadiens de produits alimentaires sont fortement dépendants du commerce avec les États-Unis, tant au niveau de l’offre que de la demande. De nombreux acteurs du secteur s’approvisionnent en matières premières essentielles aux États-Unis et comptent également sur les clients américains pour assurer la croissance de leur chiffre d’affaires.
- Approvisionnement en matières premières en provenance des États-Unis – Une part importante des matières premières du secteur, telles que les emballages, les ingrédients ou les produits de base, provient des États-Unis. La transition vers d’autres sources au Canada ou à l’étranger présente de réels défis, notamment des coûts plus élevés, des ruptures d’approvisionnement et des problèmes d’assurance qualité.
- Relations de longue date dans la chaîne d’approvisionnement – Pour de nombreuses entreprises du secteur alimentaire canadien, les relations d’approvisionnement se sont construites au fil des décennies et sont difficiles à dénouer.
- Dépendance des revenus vis-à-vis des marchés américains – Sur le plan commercial, de nombreux opérateurs canadiens dépendent fortement des ventes transfrontalières, ce qui les rend plus vulnérables aux tarifs imprévisibles, à l’évolution des cadres réglementaires et à d’autres obstacles qui compliquent les stratégies d’exécution et de tarification.
- Ressources limitées pour l’expansion – Pour les entreprises et les activités de taille moyenne ou petite en particulier, les possibilités de diversification sont souvent limitées. Le manque d’échelle, de capital et de pouvoir d’achat peut rendre peu pratique le changement de fournisseurs ou l’entrée sur de nouveaux marchés. Par conséquent, ces opérateurs sont exposés de manière disproportionnée aux risques créés par un environnement commercial volatile et peuvent avoir du mal à réagir avec agilité.
En l’absence d’action stratégique, la dépendance excessive à l’égard des États-Unis ne fera qu’amplifier l’impact des perturbations commerciales à venir, d’où la nécessité pour l’industrie d’envisager de nouvelles approches en matière d’approvisionnement et de diversification des marchés.
Comment le secteur alimentaire s’adapte-t-il aux pressions tarifaires?
Renégociation des contrats avec les fournisseurs
Face à la volatilité persistante des échanges commerciaux, de nombreux opérateurs alimentaires canadiens renégocient activement leurs contrats avec leurs fournisseurs de longue date et avec de nouveaux fournisseurs. L’objectif est clair : obtenir de meilleures conditions commerciales, mettre en œuvre des mécanismes de partage des coûts et garantir une plus grande fiabilité de la chaîne d’approvisionnement dans un environnement de plus en plus imprévisible.
« Nous avons restructuré les contrats pour y inclure des clauses de flexibilité concernant les ajustements tarifaires. » – Transformateur de viande
On assiste aujourd’hui à une évolution des achats transactionnels vers des achats plus stratégiques et plus conscients des risques. Certaines entreprises ont négocié avec succès des remises basées sur le volume ou des conditions de paiement révisées avec les fournisseurs, en s’appuyant sur l’échelle ou le potentiel de partenariat à long terme pour réduire l’exposition aux fluctuations de prix induites par les tarifs.
« Nous avons conclu des contrats à long terme avec des fournisseurs stratégiques afin d’atténuer la volatilité, et nous avons négocié des remises sur les volumes et de meilleures conditions avec nos principaux fournisseurs. » – Transformateur de viande
D’autres intègrent de manière proactive des clauses tarifaires dans les nouveaux accords afin de se prémunir contre les futurs chocs de coûts, créant ainsi des garanties contractuelles qui offrent une certaine flexibilité en cas de détérioration des conditions commerciales.
« Nous devons mettre en œuvre davantage de clauses tarifaires dans les nouveaux contrats afin de compenser les tarifs potentiels à l’avenir. » – Producteur laitier
Cependant, toutes les négociations n’ont pas abouti. Dans les cas impliquant de grands fournisseurs bien établis et disposant d’un pouvoir de tarification important, les efforts de renégociation des conditions sont souvent restés au point mort, ne laissant à certains opérateurs d’autre choix que d’absorber des coûts plus élevés ou de chercher d’autres partenariats.
Diversifier la base d’approvisionnement
Dans l’ensemble du secteur, le nombre de contrats avec les fournisseurs en cours de révision ou d’examen a augmenté de manière significative. Certains opérateurs ont complètement abandonné les fournisseurs peu performants, tandis que d’autres élargissent leurs réseaux pour inclure des partenaires plus flexibles ou plus diversifiés sur le plan régional. Certaines entreprises explorent de nouvelles zones d’approvisionnement telles que l’Asie, le Mexique et l’Europe, tandis que d’autres se tournent vers des fournisseurs canadiens, attirés par des prix plus stables et des délais de livraison plus courts.
– Fabricant de boissons
« Environ 40 % de nos coûts de matières premières proviennent actuellement des États-Unis, et nous prévoyons de réduire ce pourcentage à environ 20 %. Nous avons trouvé des fournisseurs canadiens à 60-70 % des coûts américains avec de meilleurs délais de livraison. »
– Transformateur de viande
« Nous explorons les fournisseurs canadiens et asiatiques en raison de la volatilité des prix et des droits de douane aux États-Unis. »
– Producteur laitier
« Avec l’application des droits de douane, les fournisseurs européens qui étaient auparavant plus chers sont désormais comparables aux fournisseurs américains. Certaines entreprises américaines fabriquent en Europe pour rester compétitives. »
Bien que prometteuses, les nouvelles relations avec les fournisseurs peuvent s’accompagner de difficultés, notamment en ce qui concerne la validation des certifications, le respect des normes de qualité et l’allongement des délais d’expédition. Au niveau national, même certains fournisseurs canadiens, bien que plus stables, n’ont souvent pas la capacité d’assurer les volumes requis, ce qui oblige les opérateurs à gérer plusieurs fournisseurs et accroît la complexité.
« La certification et la validation de la qualité sont des défis, en particulier pour l’Asie. » – Producteur laitier
« Nous avons doublé les délais de livraison habituels. Alors que les délais aux États-Unis étaient de 2 à 60 jours, les expéditions internationales nécessitent aujourd’hui environ 8 à 9 semaines. » – Fabricant de boissons
Gestion des coûts des matières premières et du transport
L’augmentation du coût des matières premières, en particulier des matériaux d’emballage, a incité de nombreux opérateurs du secteur alimentaire à procéder à des ajustements ciblés des formats d’emballage et de la taille des unités de stock dans un effort de maîtrise des coûts. Plutôt que d’entreprendre des révisions complètes des produits, ce qui pourrait impliquer des tests approfondis, des examens réglementaires et des changements opérationnels, certaines entreprises procèdent à des changements plus petits et plus tactiques qui peuvent être mis en œuvre rapidement. Il s’agit notamment d’adopter des matériaux plus légers ou de modifier la taille des emballages. Certains opérateurs explorent également le développement et la composition des produits afin d’utiliser des ingrédients qui ne sont pas soumis à des droits de douane.
« Nous n’avons pas encore réalisé tout l’impact du coût des intrants parce que nous avions beaucoup stocké… mais l’emballage est l’exception. Les matériaux d’emballage représentent… près de 50 à 60 % du coût total du produit. » – Transformateur de viande
Dans le même temps, la dépendance accrue à l’égard des fournisseurs étrangers et la constitution de stocks préventifs suscitent des inquiétudes quant à l’augmentation des coûts de transport et d’entreposage, qui pourraient éroder davantage les marges si elles ne sont pas gérées avec soin.
« Tout le monde est en concurrence pour faire entrer les produits aux États-Unis avant l’application des droits de douane. Nous maintenons habituellement un stock de sécurité d’environ huit semaines. Nous l’avons maintenant porté à environ 10 semaines. » – Transformateur/distributeur de fruits de mer
« Nous verrons une augmentation des coûts opérationnels car nous devrons trouver plus d’espace d’entreposage pour stocker nos produits. » – Producteur laitier
Adapter les modèles de tarification à la sensibilité des coûts
Pour gérer la hausse des coûts des matières premières, de nombreux opérateurs du secteur alimentaire ont procédé à des augmentations de prix sélectives. Toutefois, la résistance des clients, en particulier dans les segments axés sur la valeur, continue de limiter la part de ces augmentations qui peut être répercutée. Les produits haut de gamme ont tendance à absorber plus facilement les augmentations de coûts, tandis que les produits de valeur ou de marque de distributeur sont plus vulnérables aux pressions exercées par les clients. En conséquence, les opérateurs constatent un déplacement de la demande des produits haut de gamme vers des alternatives moins chères, en particulier dans les circuits de vente au détail. La sensibilité au prix reste également élevée parmi les acheteurs au détail et les clients de la restauration indépendante, ce qui oblige les opérateurs à agir avec prudence.
– Distributeur de services alimentaires
« Notre [client de services alimentaires] adapte ses prix en fonction du type de client – les indépendants sont plus sensibles aux prix que les hôpitaux ou les franchises. »
– Transformateur/distributeur de fruits de mer
« Nous assisterons à une légère baisse de la demande en raison de l’escalade des prix… les gens délaissent les produits haut de gamme au profit d’alternatives de moindre valeur. »
Plutôt que d’appliquer des augmentations de prix forfaitaires à toutes les unités de stock, les entreprises adoptent des modèles de tarification plus nuancés. Il s’agit notamment de stratégies à deux niveaux, d’optimisation au niveau des UGS et d’offres groupées, qui permettent aux entreprises de protéger leurs marges tout en maintenant les relations avec les clients dans les catégories concurrentielles. Pour justifier les augmentations de coûts, de nombreux opérateurs se concentrent également sur la valeur perçue, comme les attributs de durabilité ou les améliorations de l’emballage, afin de rendre les changements de prix plus acceptables pour les consommateurs.
« Nous avons adopté une stratégie de prix à deux niveaux : absorption sur les produits de qualité supérieure et répercussion sur les unités de gestion de stock. » – Transformateur de viande
« De nombreux clients sont sensibles au prix… mais peuvent vendre une valeur ajoutée, telle que le plastique recyclé. » – Transformateur de viande
Les plans actuels sont principalement tactiques et non stratégiques
Les solutions à court terme dominent actuellement. Les entreprises ajustent les niveaux des stocks de sécurité, consolident les expéditions et réacheminent le fret pour gérer les retards et réduire les coûts au sol.
« Historiquement, nous achetions aux États-Unis des matériaux d’origine chinoise, mais nous avons maintenant commencé à nous approvisionner directement en Chine. » – Fabricant de boissons
D’une manière générale, ce qui semble manquer dans le secteur, c’est un plan de réponse structuré et à long terme qui intègre la résilience dans la stratégie d’approvisionnement, de tarification et commerciale.
Six mesures stratégiques pour renforcer la résilience à long terme
Ces menaces tarifaires ne doivent pas être considérées comme un choc isolé, mais comme un tournant structurel. Le secteur alimentaire canadien doit s’adapter de manière proactive afin de réduire l’exposition à long terme au risque centré sur les États-Unis.
- Diversifier les sources d’approvisionnement à un niveau stratégique
La flexibilité et la redondance des risques sont désormais une nécessité concurrentielle. Les opérateurs doivent développer de manière proactive des réseaux d’approvisionnement auprès de fournisseurs nationaux et étrangers, même si les coûts initiaux augmentent. - Restructurer les opérations transfrontalières
Revoir la façon dont les entités, les modèles de prix de transfert et les flux commerciaux sont structurés afin de réduire l’exposition aux droits de douanes et de simplifier la mise en conformité. - Investir dans des outils de prévision et de planification de scénarios
L’analyse avancée peut permettre aux équipes chargées des achats et du commerce de simuler des scénarios tarifaires, de tester l’impact des coûts et de définir des mesures d’atténuation des risques exploitables. - Redéfinir les modèles commerciaux
Une plus grande sophistication des prix, telle que les stratégies à plusieurs niveaux, les offres groupées et les innovations en matière de taille des emballages, sera essentielle pour répondre aux attentes des clients tout en protégeant les marges. - S’implanter sur de nouveaux marchés nationaux et internationaux
Pour réduire la dépendance excessive à l’égard des revenus américains, les opérateurs doivent activement accroître leur part dans de nouvelles zones géographiques, tant au niveau national qu’à l’étranger. - Poursuivre de manière sélective l’intégration verticale
Se préparer à un nouvel environnement commercial
La perturbation tarifaire n’est plus un obstacle temporaire ; c’est une caractéristique déterminante de l’environnement commercial nord-américain. Les entreprises qui n’évoluent pas resteront exposées. Celles qui transforment de manière proactive leurs chaînes d’approvisionnement, leurs modèles de tarification et leurs stratégies de marché peuvent mieux résister aux chocs du marché et peut-être même prospérer à l’avenir.
Besoin d’aide en matière de stratégie ou d’opérations?
Si vous travaillez dans le secteur alimentaire et que vous ne savez pas trop vers quoi vous tourner, nous pouvons vous aider à évaluer votre stratégie et vos opérations actuelles afin de trouver des moyens de faire face à l’incertitude.
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