Dans les manchettes | Espace | Gavin Reiff | Investisseurs stratégiques et locataires : s’adapter à la nouvelle réalité

Auteur: Gavin Reiff, Ing., MBA, Vice-président, RICHTER S.E.N.C.R.L.

Article paru initialement dans le magazine Espace Montréal, volume 30, #2, 2021.

Les villes et les communautés où nous vivons sont des témoins de l’histoire. Pensez au tracé des rues, aux réseaux de services publics, au cachet spécial de votre quartier et de votre centre-ville, ainsi qu’aux bâtiments privés et aux institutions publiques telles que les mairies et les bibliothèques. Leur emplacement, leur taille, leur forme construite, leur opulence (ou leur sobriété) représentent des témoignages physiques des préférences des habitants de la région au fil du temps. Le style de chaque bâtiment marque leurs préférences de façon indélébile dans du métal, du béton et du verre.

Chaque lampadaire, intersection et bâtiment possède une histoire qui intéresserait les historiens et les archéologues urbains. Ils se demanderaient « Pourquoi est-il à cet endroit? », « Pourquoi en avait-on besoin? », « Qu’y avait-il auparavant à cet endroit? », « Qui a financé sa construction? » et « Que va-t-il devenir? ». Nous pourrions discourir longuement sur le sujet, mais pour les besoins de cet article, contentons-nous de savoir que les préférences des personnages principaux de ces histoires ont contribué à façonner l’environnement bâti, les communautés et les villes qui influencent notre vie quotidienne.

On a déjà dit que les villes constituent l’une des plus grandes inventions de l’humanité. Elles offrent de la sécurité, des occasions sociales, des occasions économiques et des choix. Elles favorisent également le transfert de connaissances, les économies d’échelle et de gamme, les institutions et la spécialisation. Les villes ont aussi des inconvénients inhérents, bien que l’histoire récente indique qu’elles présentent un net avantage. L’ONU estime qu’en 2007, davantage de personnes sur la planète vivaient dans des villes que dans des communautés rurales et, d’ici 2050, plus des deux tiers de la population mondiale résideront dans des villes.

 

Comment notre relation avec les villes a changé

Lorsque nous avons entamé cette nouvelle décennie, les années 2020, tout portait à croire que notre préférence pour les environnements urbains perdurerait. L’urbanisation continue et l’émergence de mégapoles semblaient aller de soi. Puis, le monde a changé. Tous les citoyens, dans tous les continents, tous les pays et toutes les villes, ont connu une crise sanitaire mondiale prédite par les scientifiques, mais si incroyable que nous ne pouvions la concevoir. Les facteurs économiques, sociaux et géopolitiques qui déterminent nos préférences ont changé rapidement et de façon spectaculaire. Puis, tout a changé. Notre attitude en tant que société envers la sécurité de la chaîne d’approvisionnement et la répartition des ressources s’est repliée sur elle-même. De manière défensive et protectrice, nos préférences quant à la façon dont nous utilisons notre environnement bâti et interagissons avec les gens ont changé.

Ce que nous recherchions auparavant dans l’urbanisme (densité, proximité, commodité, accès, efficacité, divertissement) et les biens partagés (espaces de travail communautaires, covoiturage, biens collectifs) deviennent des facteurs de propagation du risque sanitaire. Nous nous isolons et manifestons une préférence pour les biens privés et à usage unique. La demande pour les transports privés (voitures, bicyclettes), les espaces verts extérieurs et les équipements privés a augmenté. Comme il fallait s’y attendre, elle a entraîné une demande accrue pour de plus grands espaces de vie dotés d’équipements privés tels que des bureaux à domicile, des salles d’exercice, des cinémas sur place et des piscines.

Tout cela s’est traduit par un renversement de schémas migratoires bien établis. La population déserte les villes. Il est néanmoins impossible de savoir si ces schémas migratoires modifieront de façon permanente notre préférence antérieure pour les environnements urbains. Il est toutefois probable que les villes conserveront leur pertinence. Les recherches indiquent que les gens ont déménagé dans la même région géographique et économique, et on constate une hausse de l’activité et des prix de l’immobilier dans de nombreuses villes nord-américaines.

 

Répercussions sur l’immobilier commercial

Notre relation avec nos villes sera sans contredit différente de ce qu’elle était durant la précédente décennie. Bien que ce ne soit pas nécessairement une mauvaise chose, les investisseurs, les exploitants et les utilisateurs de l’immobilier commercial doivent néanmoins s’y préparer.

Secteur des locaux pour bureaux  

 Le secteur des locaux pour bureaux sera façonné par les préférences des gens et des organisations qui les utilisent. Les locataires évaluent les demandes de leurs employés qui désirent une flexibilité accrue, tandis que certaines organisations importantes sont passées à un modèle entièrement à distance. Pour les organisations qui choisissent de fonctionner en dehors des locaux physiques, ce qui, selon le secteur de l’immobilier, devrait représenter la majorité des employeurs, nous pourrions observer l’émergence d’un modèle hybride comprenant une augmentation des espaces de travail privés, des bureaux à la carte, ainsi que des bureaux satellites et à court terme conçus pour rapprocher physiquement les espaces de bureaux des milieux de vie des employés.

Secteur industriel

Le secteur industriel a tiré parti d’une demande accrue d’espaces dans toutes les grandes villes et les centres de distribution régionaux. L’évolution récente de notre préférence pour une chaîne d’approvisionnement plus sécuritaire a fait augmenter la demande, car les exploitants ont besoin d’espace industriel pour fabriquer et stocker des produits, tout en gérant leurs affaires. Dans le contexte d’une dépendance accrue des consommateurs envers la logistique, de l’achat de marchandises en ligne et d’une offre limitée, on observe une pression accrue sur les loyers, tandis que les locataires doivent relever le défi de trouver des locaux optimaux.

Nous assistons aujourd’hui à une dichotomie des préférences : les gens recherchant les avantages des villes tout en bénéficiant des atouts des environnements à faible densité. Avec des populations stables, voire en augmentation, les ingrédients sont réunis pour l’expansion physique et l’adaptation de notre environnement bâti, ainsi que pour une hausse des délocalisations.

 

Considérations personnelles et professionnelles relatives au déménagement

Si le macro-environnement a eu des répercussions sur vos préférences commerciales et personnelles et que vous envisagez une relocalisation, certains facteurs liés à l’immobilier doivent être pris en considération.

Investissement

Selon votre situation, vous pourriez acquérir de nouveaux locaux. Néanmoins, avant d’investir, vous devez prévoir une durée plus longue et des capitaux disponibles pour les placements et avoir confiance dans les paramètres économiques fondamentaux de votre nouveau secteur.

En tant que propriétaire de l’actif, vous pouvez occuper l’immeuble indéfiniment et, si le marché est propice, vous bénéficierez de l’appréciation du capital de l’actif tout en étant protégé contre les pressions inflationnistes sur les loyers. Il y a certainement des risques à posséder un bien immobilier, car vous devrez assumer les frais d’exploitation (impôts fonciers, services publics), quel que soit son taux d’occupation, et des coûts en capital pour réparer et améliorer l’actif à des fins de sécurité et de positionnement sur le marché.

Impôt et municipalité

La municipalité où vous choisissez d’exercer vos activités a de nombreuses répercussions pour les investisseurs, les exploitants et les locataires de biens immobiliers. Tout d’abord, l’emplacement de votre bien immobilier constitue un facteur important de son évaluation foncière et du montant des impôts à payer chaque année. En outre, lors de l’acquisition d’un bien immobilier, la valeur de l’actif et la municipalité déterminent le montant des droits de mutation immobilière.

Par le biais de leurs règlements de zonage et d’autres outils, les municipalités jouent également un rôle important pour déterminer si, et dans quelle mesure, les biens immobiliers peuvent être réaffectés ou réaménagés.

Considérations liées aux capitaux

Un actif immobilier bien situé et de format approprié fournit généralement des flux de trésorerie raisonnablement constants et une protection inhérente contre l’inflation. L’acquisition et l’exploitation d’un tel bien exigent également beaucoup de capitaux. En changeant de municipalité et en prenant une décision immobilière connexe, votre profil de flux de trésorerie et vos besoins en capitaux pourraient vraisemblablement changer.

Il serait prudent de revoir et de mettre à jour vos besoins en capitaux à court et à long terme avant d’arrêter une décision immobilière. Au cours des derniers mois, les marchés offraient des capitaux d’emprunt, mais les prêteurs ont revu leurs critères de financement afin de favoriser des flux de trésorerie de meilleure qualité et plus durables ainsi qu’une sécurité accrue.

Crédit-bail

Si votre situation est plus transitoire, la location de nouveaux locaux pourrait mieux vous convenir. Au cours des derniers mois, les relations de location et la documentation connexe ont été mises à rude épreuve.

Les locataires ont montré qu’ils avaient de plus en plus besoin de souplesse, notamment de baux de plus courte durée, de plus d’options, de dépôts moins importants et du droit de résilier le bail avant terme, en particulier en cas de force majeure et de fermetures imposées par le gouvernement. Tous ces éléments représentent un transfert de risque du locataire au propriétaire et reflètent un climat d’incertitude auquel les entreprises se sont habituées. Leur manque de visibilité rend difficile la prise de décisions commerciales à long terme, notamment en ce qui concerne les niveaux de dotation, les biens d’équipement et la gestion des stocks. Toutes ces décisions commerciales déterminent en fin de compte leurs besoins en matière d’immobilier.

 

Nous entretenons une relation complexe avec l’immobilier, et les villes qui en dépendent, car l’immobilier est statique et durable, tandis que nos préférences varient avec le temps. En raison de cette dichotomie, il faut s’attendre à ce que les gens déménagent leurs entreprises et leurs résidences plusieurs fois au cours de leur vie.

Nous n’avons fait qu’effleurer l’enjeu en surface en identifiant et en explorant les éléments à prendre en compte lors d’une migration et nous n’avons pas encore exploré les caractéristiques uniques de chaque actif immobilier. Comme dans la plupart des prises de décisions, il n’existe pas de solution parfaite, mais une approche disciplinée et éclairée vous permettra de prendre une meilleure décision.