Dans les manchettes | Espace | S’y retrouver dans les mesures d’aide liées à la COVID-19 offertes aux propriétaires immobiliers et aux locataires

Par : Stéphanie Lincourt, CPA auditrice, CA, associée, Richter; Katherine Borsellino, LL. B, J.D., LL. M. Fiscalité, première directrice, Richter; et Laurent Brunet-Schmidt, CPA, CA, premier directeur, Richter.

Avec la contribution de Harvey Sands, CPA, CA, IAS, consultant, Richter

Article paru initialement dans le magazine Espace Montréal, volume 30, #1, 2021.

La pandémie de la COVID-19 a créé une nouvelle réalité opérationnelle et fiscale pour les propriétaires immobiliers, les locataires, les prêteurs et les investisseurs. En réaction, le gouvernement a annoncé divers programmes d’aide. En raison de la complexité de ces programmes et de la période d’incertitude actuelle, de nombreux propriétaires d’entreprise et intervenants du secteur immobilier ont dû adapter leurs activités en conséquence et ils se demandent comment s’y retrouver dans tous ces programmes.

Nous avons remarqué que les propriétaires immobiliers et leurs gestionnaires doivent informer et sensibiliser leurs locataires au sujet des mesures d’aide pouvant procurer des liquidités essentielles aux locataires et à leurs propriétaires et ainsi, réduire la pression sur les propriétaires immobiliers découlant des conséquences financières de la COVID-19.

Pour vous aider à naviguer dans ces eaux troubles, nous présentons ci-dessous un aperçu de quelques-uns de ces programmes d’aide, de leurs incidences fiscales ainsi que de certaines de leurs répercussions sur les résultats financiers de fin d’exercice attribuables à la pandémie de la COVID-19.

Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (« CUEC »)

En vertu du CUEC, certaines petites entreprises admissibles peuvent obtenir des prêts sans intérêt jusqu’à concurrence de 60 000 $ pour couvrir leurs dépenses d’exploitation. Le remboursement du solde du prêt au plus tard le 31 décembre 2022 entraînera un pardon d’une portion du prêt jusqu’à concurrence de 20 000 $.

Subvention salariale d’urgence du Canada (« SSUC »)

En vertu de la SSUC, un employeur ayant subi une baisse de revenu entre mars 2020 et mai 2021 peut réclamer une subvention pour les salaires gagnés par ses employés. La baisse de revenu est calculée en fonction des revenus bruts mensuels gagnés en 2020, comparés au même mois en 2019 ou comparés à la moyenne des revenus gagnés en janvier et février 2020[1]. Les revenus bruts mensuels sont calculés selon la méthode de comptabilité d’exercice, selon les Normes comptables pour les entreprises à capital fermé (NCECF) ou selon la méthode de la comptabilité de caisse[2]. Certains éléments sont à exclure, notamment, les postes extraordinaires, les gains en capital, les montants reçus en vertu de certains programmes gouvernementaux, ainsi que les sommes reçues d’une entité avec lien de dépendance. De plus, les organismes de bienfaisance ainsi que les organismes à but non lucratif et certains groupes d’entreprises peuvent bénéficier de règles spéciales pour faciliter le calcul des revenus et évaluer déterminer leur baisse de revenu.

Subvention d’urgence du Canada pour le loyer (« SUCL »)

La structure des règles de la SUCL reprend la structure des règles de la SSUC. À compter du 27 septembre 2020, les propriétaires et locataires d’immeubles commerciaux ayant subi une baisse de revenu peuvent recevoir une subvention pour certaines dépenses. Par immeuble et par période, ils peuvent demander une subvention maximale de 65 % des dépenses correspondant au moins élevé des montants suivants : 75 000 $ de dépenses ou la part de 300 000 $ de dépenses alloué au demandeur (si le demandeur fait partie d’un « groupe affilié »[3]).  Un demandeur peut avoir droit à une subvention supplémentaire pouvant atteindre 25 % de 75 000$ de dépenses, par immeuble et par période, s’il est assujetti à une « restriction sanitaire »[4]. Les dépenses admissibles qu’un locataire peut réclamer comprennent le loyer brut payé à un locateur non-lié et les autres dépenses prévues dans un bail net, mais excluent certains éléments, tels que les taxes de vente, les intérêts, les pénalités et les dommages-intérêts. Les dépenses admissibles qu’un propriétaire d’un immeuble commercial peut réclamer comprennent les intérêts hypothécaires, l’assurance et les impôts fonciers sur un immeuble qui n’est pas loué ou qui est loué principalement à des entités avec lien de dépendance (qui n’exploitent pas une entreprise de location).

Aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial (« AUCLC »)

L’AUCLC a procuré une aide financière aux propriétaires d’immeubles commerciaux durant les mois d’avril 2020 à septembre 2020. L’admissibilité au programme était complexe et l’accessibilité était quelque peu restrictive, de sorte que les propriétaires d’immeubles commerciaux devaient réduire de 75 % le loyer de certaines « petites entreprises locataires » ayant subi une baisse de revenu moyenne de 70 % d’avril 2020 à juin 2020. De leur côté, les propriétaires d’immeubles commerciaux ont reçu une subvention fédérale de 50 % et une subvention du gouvernement de Québec de 12,5 % relativement au montant du loyer remis.

Aide gouvernementale

Même si chaque subvention est imposable à titre d’aide gouvernementale, il peut y avoir des différences de traitement entre les normes comptables et la Loi de l’impôt sur le revenu.

En vertu des normes comptables actuelles, l’aide gouvernementale liée aux dépenses ou aux revenus courants est incluse dans le revenu pendant l’exercice où tombe la période de réclamation. La subvention peut être présentée comme une ligne distincte dans les états financiers ou déduite des dépenses connexes.

Aux fins de l’impôt, la SSUC et la SUCL doivent être incluses dans le revenu durant l’année où termine la période de réclamation, même si aucun montant n’a été reçu. Toutefois, le montant de la subvention reçue en vertu de l’AUCLC et le montant la radiation de prêt en vertu de la CUEC doivent être inclus dans le revenu durant l’année d’imposition où les fonds ont été reçus. Dans le cas de la CUEC, si le solde du prêt n’est pas remboursé avant la date limite ou si une partie ou la totalité du prêt ne peut pas être remboursée, le contribuable peut être assujetti à des conséquences fiscales supplémentaires.

Comptabilisation des baux

La pandémie a perturbé le secteur immobilier puisque de nombreuses entreprises ont subi des baisses de revenus en raison de fermetures. En conséquence, des propriétaires ne percevaient pas le loyer auquel ils avaient droit et, pour alléger le fardeau financier des locataires, il n’était pas rare qu’ils leur offrent des allègements de loyer sous forme de report ou d’exonération de paiements de loyer.

En vertu des règles comptables actuelles, de telles modifications de bail seraient classées comme un nouveau bail entre les parties, ce qui nécessiterait la décomptabilisation du bail précédent. La charge de travail requise pour refléter ce traitement et l’incidence qui en aurait découlé sur les états financiers a suscité des préoccupations chez les préparateurs. Afin de calmer ces préoccupations et d’alléger la charge de travail des préparateurs, le Conseil des normes comptables a permis aux préparateurs de choisir de ne pas comptabiliser les allègements de loyer comme étant un nouveau bail lorsque ces allègements sont conformes aux conditions suivantes[5] :

  • l’allégement est accordé en conséquence directe de la pandémie de COVID-19;
  • le total des paiements exigibles à la suite de l’allégement est identique ou inférieur au total des paiements exigibles en vertu du bail initial, un allégement de loyer qui augmente le total des paiements exigibles en vertu du bail n’étant pas considéré comme une conséquence directe de la pandémie de COVID-19, sauf dans la mesure où l’augmentation correspond uniquement à la valeur temps de l’argent;
  • la réduction des paiements de loyer, le cas échéant, ne touche que des paiements initialement dus au plus tard le 31 décembre 2021 (par exemple, un allégement de loyer sous forme de report de paiements de loyer respectera cette condition s’il entraîne une baisse de paiements dus au plus tard le 31 décembre 2021, mais que ces paiements sont faits après cette date).

Grâce à cet allègement, tous les baux peuvent continuer d’être comptabilisés tels qu’originalement négociés. Tout report de loyer sera considéré comme un loyer à payer ou à recevoir et toute exonération de loyer peut être comptabilisée comme une réduction de revenus durant la période visée par les paiements de loyer.

Autres considérations financières

Lors de la préparation des états financiers de fin d’exercice, il sera important de tenir compte des questions et des points suivants :

Recouvrabilité des débiteurs

Au-delà des allègements de loyer, la recouvrabilité des débiteurs pourrait être compromise. Certains locataires ont souffert de fermetures prolongées et les provisions pour créances douteuses et créances irrécouvrables pourraient s’avérer plus élevées que par le passé pour les propriétaires immobiliers. Il est à noter que ces créances peuvent offrir certaines économies d’impôt sur les montants de revenu à recevoir, tandis que les impôts qui s’y rattachent sont actuellement exigibles.

Dépréciation et continuité d’exploitation

Est-il trop tôt pour reconnaître une dépréciation d’un immeuble locatif? Nous ne savons toujours pas à quoi ressemblera le monde post-pandémie, mais il est important de tenir compte des points suivants qui ont une incidence directe sur la valeur des immeubles locatifs :

  • Perte de locataires clés;
  • Incapacité des locataires de fonctionner pendant une longue période;
  • Augmentation du taux d’inoccupation;
  • Non-renouvellements;
  • Réduction de la superficie en pieds carrés des locataires;
  • Réduction des revenus de location;
  • Loyer irrécouvrable;
  • Augmentation des coûts d’exploitation.

Tous les points ci-dessus peuvent dénoter la possibilité d’une dépréciation de la valeur de l’immeuble locatif.

Pour certaines catégories d’actifs qui ont été davantage touchées par les fermetures, il peut y avoir un problème de continuité d’exploitation. L’absence de touristes et de voyages d’affaires a eu des répercussions sur les hôteliers, les restaurateurs et les centres de divertissement (théâtres, cinémas, etc.). Ces actifs immobiliers peuvent-ils être réaffectés? Seront-ils vendus à perte?

Engagement à l’égard des dettes et événements subséquents

Il ne fait aucun doute que 2020 a été une année inhabituelle, où les entreprises ont eu peu ou pas de contrôle sur le respect des engagements à l’égard de leur dette. Pour plusieurs entreprises, le non-respect de ces engagements n’était pas le résultat d’une mauvaise gestion, mais plutôt de fermetures imposées. Les moratoires sur le remboursement des prêts hypothécaires ont aidé dans bien des cas, mais ils ne constituent pas une solution permanente. Une bonne gestion des flux de trésorerie, des projections englobant divers scénarios et la transparence auprès des prêteurs sont essentielles en ces temps difficiles.

Même si l’année 2020 fait peut-être partie de notre passé collectif, la pandémie continue aujourd’hui de toucher de nombreuses personnes et entreprises. Le déploiement des vaccins et l’évolution des mesures sanitaires apportent un nouvel espoir pour la santé et la sécurité de tous, mais il est encore trop tôt pour dire avec certitude dans quelle mesure l’année 2021 sera différente pour les propriétaires d’entreprise. L’incertitude et la nature sans précédent de la pandémie pourraient certainement expliquer la complexité de la situation.

Cela dit, il est essentiel de comprendre l’effet des mesures de lutte contre la COVID-19 prises par les propriétaires d’entreprise et les gouvernements pour bien évaluer les considérations fiscales et financières, et leurs répercussions sur les états financiers de fin d’exercice.

[1] Le point de comparaison choisi, quel qu’il soit, doit être appliqué uniformément durant certaines périodes tout au long du programme.

[2] La méthode comptable choisie doit être appliquée de façon uniforme pendant toute la durée du programme.

[3] La notion du terme « affilié » est basée sur des règles fiscales spécifiques.

[4] « Restriction sanitaire » est aussi basée sur des règles fiscales spécifiques.

[5] Normes comptables pour les entreprises à capital fermé, section 3065 par.11A