Dans les manchettes | Espace | Vincent De Angelis et Sarah Benammar | Le nouveau régime d’imposition du revenu de placement passif et son impact sur les investissements immobiliers : enfin de la simplicité et de la certitude

Par : Sarah Benammar & Vincent De Angelis

Original, tel qu’il apparaît sur le magazine Espace Montréal – Vol. 27

L’impôt sur le revenu est un coût à assumer lorsqu’on est en affaires et ce coût se répercute dans les dépenses de toute société, incluant les sociétés du secteur de l’immobilier. En juillet 2017, en plein milieu de l’été, le ministère fédéral des Finances (« Finances ») a annoncé des modifications fiscales majeures qui auraient eu d’importantes répercussions pour les détenteurs d’actions de sociétés privées sous contrôle canadien (« SPCC »). Une fois versé sous forme de dividende à l’actionnaire particulier, un revenu de placement tiré de bénéfices générés par une entreprise exploitée activement, aurait ultimement été assujetti à un taux d’imposition de près de 73 %. Cette réforme de l’imposition du « revenu passif » était très complexe et aurait eu le potentiel de se répercuter sur le rendement après impôt des SPCC sans toutefois changer le fardeau fiscal des sociétés publiques, des sociétés étrangères ou des entités exonérées d’impôt.

À titre de rappel, Finances voulait adresser le prétendu échappatoire fiscal lié à l’utilisation d’une société à des fins de rétention de revenus dans l’unique but de bâtir des portefeuilles de placement. Pour illustrer cet avantage, supposons qu’une actionnaire détienne toutes les actions d’une SPCC. Cette SPCC emploie une grande équipe pour la gestion de ses biens immobiliers qui lui permet de générer un revenu de 100 $ que la loi de l’impôt considère comme étant du revenu actif. Ce revenu gagné par la société serait assujetti à un taux d’imposition combiné fédéral et Québec de 26,7 % (dans l’hypothèse où la société ne réclamerait pas la déduction accordée aux petites entreprises). Si, au lieu d’avoir eu recours à une SPCC, cette même individu embauchait elle-même des employés, le revenu actif de 100 $ qu’elle aurait autrement gagner serait assujetti à un taux de 53,53 %, soit le taux d’imposition marginal (combiné fédéral et Québec) le plus élevé pour les particuliers. Ainsi, l’écart entre les deux taux d’imposition permettrait à la SPCC de se prévaloir d’un report d’impôt d’environ 26,83 $ comparativement au particulier.

Finances était préoccupé par le fait qu’en l’absence de dispositions législatives visant à empêcher ce report d’impôt, des professionnels et des contribuables auraient utilisé des sociétés dans l’unique but de se prévaloir de cet avantage fiscal. Cette préoccupation ne tient cependant pas compte du fait que les bénéfices après impôt d’une société versés à l’actionnaire particulier, sont assujettis à un deuxième niveau d’imposition dans le cas où ce dernier reçoit un dividende versé par la société. Ainsi, au moment où l’actionnaire de notre exemple reçoit un dividende versé par la SPCC à partir de ses bénéfices après impôt, elle aurait à payer un impôt global de près de 56% lorsque l’on tient compte de l’impôt de la société et du particulier, soit près de trois points en pourcentage de plus que le taux d’imposition marginal le plus élevé des particuliers.  L’objectif de la deuxième strate d’imposition est d’appliquer ce qu’on appelait historiquement le principe théorique d’intégration.

Malgré la colère exprimée par les professionnels et les gens d’affaires à travers le pays, le gouvernement a réaffirmé en octobre 2017 son intention d’aller de l’avant avec sa réforme de l’imposition du revenu passif et a promis de communiquer davantage de détails lors de la publication du budget de 2018. Le 27 février 2018, le budget fédéral tant attendu a été rendu public et, à la surprise des fiscalistes et des entrepreneurs, le gouvernement a complètement abandonné ses propositions de 2017 sur le revenu passif. Au lieu, le budget de 2018 préconise de restreindre davantage l’accès à la déduction accordée aux petites entreprises (dont il ne sera pas question ici) et de parfaire le régime d’impôts remboursables applicable aux SPCC. Le nouveau régime d’impôts remboursables proposé est moins complexe et moins coûteux que les propositions du mois de juillet 2017, mais a tout de même pour objectif de limiter un autre type de report d’impôt permis avant le budget dont il sera question ci-après.

Le revenu passif gagné par une SPCC, tel que les intérêts, les gains en capital imposables et certains loyers par exemple, sont assujettis à un taux d’imposition d’environ 50 %, dont une portion est accumulée dans un compte théorique appelé Impôt en Main Remboursable au Titre de Dividendes (« IMRTD »). Le compte d’IMRTD est un mécanisme de simulation applicable aux sociétés permettant d’imiter le taux d’imposition le plus élevé des particuliers. La société paie par anticipation des impôts au gouvernement fédéral et une somme est portée au crédit à son compte d’IMRTD. La SPCC a par la suite droit à un remboursement de son IMRTD à hauteur de 38,33 $ pour chaque tranche de 100 $ de dividende versé à son actionnaire, et ceci, peu importe que ce dividende provienne du revenu tiré d’une entreprise exploitée activement ou de son revenu passif. Le remboursement est déclenché lorsque le dividende est versé à l’actionnaire puisque c’est à ce moment-là que l’actionnaire est sujet à l’impôt sur son revenu de dividende. Ainsi, le compte d’IMRTD est utilisé aux fins du principe intégration au niveau de la société en imposant le revenu passif à un taux correspondant au taux d’imposition marginal le plus élevé des particuliers pendant la période au cours de laquelle les fonds sont conservés dans la société.

Si une SPCC présente un solde d’IMRTD suite à l’accumulation de revenu passif et si, par ailleurs, celle-ci a également généré du revenu actif n’étant toutefois pas admissible à la déduction accordée aux petites entreprises, la SPCC peut se prévaloir d’un report d’impôt. En effet, un dividende versé par une SPCC provenant du revenu actif, communément appelé « Dividende Déterminé », est imposé au niveau de l’actionnaire particulier à près de 4% de moins que le taux d’imposition applicable aux dividendes provenant du revenu passif. Ainsi, une SPCC gagnant du revenu actif a la possibilité de verser un Dividende Déterminé à son actionnaire tout en obtenant un remboursement de son compte d’IMRTD, générant ainsi une économie d’impôt de près de 4%. En effet, pour récupérer son solde d’IMRTD, la société n’est pas dans l’obligation de verser sous forme de dividendes les bénéfices tirés d’un revenu passif. En d’autres termes, il n’existe actuellement aucun ordre d’application ni mécanisme de suivi obligeant les sociétés à déclarer et à verser un dividende non déterminé assujetti à un taux plus élevé dans les mains du particulier pour qu’elles puissent récupérer l’IMRTD.

Pour contourner ce report d’impôt de 4 %, le budget fédéral de 2018 propose, sauf pour quelques exceptions, de limiter l’accès au compte d’IMRTD dans les cas où le dividende versé par la société est un Dividende Déterminé. L’idée que sous-tend cette restriction est d’aligner l’impôt remboursable payé sur le revenu passif avec le versement de dividendes provenant du même revenu passif. Les nouvelles mesures s’appliquent aux années d’imposition commençant après 2018 et nécessiteront le suivi de deux comptes d’IMRTD pour les SPCC.

Quelle sera l’incidence du nouveau traitement des impôts remboursables pour les sociétés œuvrant dans le secteur immobilier ? En fait, comme les impôts remboursables ne s’appliquent uniquement qu’aux SPCC, ce nouveau régime n’aura aucune incidence sur les caisses de retraite étrangères, les sociétés publiques ou les entités exonérées d’impôt investissant dans l’immobilier au Canada. Le nouveau régime n’aura également aucune incidence sur les SPCC qui conservent leurs bénéfices dans la société plutôt que de les distribuer à leurs actionnaires particuliers, pas plus que sur les SPCC qui tirent exclusivement leurs revenus d’une entreprise exploitée activement ou qui touchent des revenus de nature passive uniquement. En revanche, ces mesures auront des répercussions sur les SPCC qui accumulent des bénéfices tirés tant d’un revenu d’entreprise exploitée activement que d’un revenu passif et qui distribuent ces bénéfices à leurs actionnaires particuliers.

Prenons pour exemple le cas d’une SPCC qui touche un revenu de location de ses biens immobiliers qualifié à titre de revenu passif et disons, pour les besoins de cet exemple, que cette SPCC assure parallèlement la prestation de services de gestion immobilière qui sont admissibles à la définition du revenu actif. Sous le régime actuel, une portion du taux d’imposition élevé de 50 % acquitté par la société pour ses activités de location est accumulée dans son compte d’IMRTD et ne sera remboursée par le gouvernement qu’au moment du versement d’un dividende à son actionnaire particulier. Puisque le versement d’un Dividende Déterminé généré par les services de gestion immobilière est imposé à près de 4% de moins que l’est un dividende provenant du revenu de location, l’entreprise opterait pour le versement du Dividende Déterminé tout en récupérant l’IMRTD généré par son revenu passif. Les bénéfices tirés des activités de location pourraient être versés à l’actionnaire sous forme de dividende non déterminé l’année suivante ou deux ans plus tard par exemple, permettant ainsi le report de l’impôt additionnel de 4% auxquels les dividendes non déterminés sont sujets.

Maintenant, selon le mécanisme proposé par le budget fédéral de 2018, la même société ne serait pas admissible au remboursement de son IMRTD lors du versement d’un Dividende Déterminé. En effet, cette même société ne récupérerait son IMRTD que si le dividende versé serait un dividende non déterminé. De cette manière, le report de l’impôt additionnel de 4 % est ainsi éliminé.

La même analyse s’appliquerait dans un cas où une SPCC propriétaire de biens immobiliers réaliserait un gain en capital à la vente de l’un de ses immeubles locatifs. L’IMRTD généré par le gain en capital ne serait désormais remboursé à la société qu’au moment du versement à l’actionnaire particulier d’un dividende non déterminé provenant du gain en capital. Par conséquent, l’impôt additionnel de 4 % ne pourrait plus être reporté au niveau du particulier si la société se prévalait par ailleurs du remboursement de son solde d’IMRTD.

Le budget fédéral de 2018 prévoit des règles de droits acquis pour les sociétés qui auront accumulé un solde d’IMRTD ainsi que des bénéfices tirés d’un revenu actif au moment de l’entrée en vigueur de ces nouvelles mesures. Des planifications fiscales sont possibles afin d’optimiser les règles de droits acquis dans les cas où l’IMRTD et le revenu actif accumulé sont détenus dans des sociétés distinctes.