Repositionnement d’une propriété commerciale en unités résidentielles : une transformation post-COVID-19 au Canada

Par : Jessica Stuart, LL. B., LL.M., directrice, Richter et Vincent De Angelis, CPA, associé, Richter

Avec la contribution de Martin Gilbert, LL. B., associé, Richter et Jenna Schwartz, LL. B., B.C.L., associée, Richter

Alors que les conséquences de la pandémie de COVID-19 continuent de façonner notre monde, le virage vers des modèles de travail hybrides et de télétravail persiste. Ce changement profond des régimes de travail a laissé de nombreux espaces commerciaux sous-utilisés et, dans certains cas, vacants. Les données récentes d’un rapport du Altus Group soulignent cette tendance, révélant que 35 millions de pieds carrés d’espaces à bureaux étaient disponibles pour la location dans la seule région du Grand Toronto au cours du premier trimestre de 2023. Cette disponibilité représente plus du double des chiffres du premier trimestre 2020, soit avant la pandémie[1]. De même, le taux d’inoccupation des bureaux à Montréal a continué d’augmenter, passant à plus de 20 millions de pieds carrés au deuxième trimestre de 2023[2].

Les investisseurs qui ont déjà vu des rendements prometteurs des propriétés commerciales sont maintenant aux prises avec la réalité d’une demande plus faible et de revenus de location réduit. Cela pourrait entraîner une érosion de la valeur des propriétés, ce qui incitera les propriétaires et les investisseurs à explorer d’autres types d’utilisation de ces espaces. La conversion de ces propriétés en unités résidentielles offre l’occasion non seulement de préserver la valeur de l’actif, mais aussi de l’augmenter éventuellement en exploitant le marché immobilier résidentiel en plein essor.

La possibilité de convertir des propriétés commerciales en unités résidentielles a attiré l’attention des gouvernements de divers paliers, y compris des autorités municipales qui visent à promouvoir la densification urbaine tout en s’attaquant au problème des immeubles de bureaux vacants. En même temps, les gouvernements provinciaux et fédéral se sont tournés vers les promoteurs pour augmenter les inventaires de logements afin de faire face à l’afflux d’immigrants. Un exemple récent de l’intérêt du gouvernement envers les conversions de propriétés commerciales est l’annonce faite par le premier ministre Justin Trudeau le 14 septembre 2023, selon laquelle le gouvernement offrira un remboursement complet de la TPS pour la construction de nouveaux immeubles locatifs (pour les immeubles dont au moins 90 % des unités résidentielles sont destinées à la location à long terme) et pour la conversion d’immeubles commerciaux en unités résidentielles locatives.

Ce qui suit est une discussion des points saillants à garder à l’esprit lorsqu’on envisage de convertir une propriété commerciale en unités résidentielles.

Disponibilité des immeubles commerciaux adaptés à la conversion

D’abord et avant tout, les propriétaires immobiliers et les investisseurs doivent se demander si leurs règlements de zonage actuels permettent de telles conversions. Il est tout aussi important qu’ils évaluent si leurs propriétés conviennent à l’habitation résidentielle et sont attrayantes à cette fin. Il convient de souligner qu’un rapport d’Avison Young a examiné le potentiel de réutilisation adaptative des immeubles de bureaux dans diverses villes du Canada[3]. Toronto s’est avérée la ville au potentiel le plus élevé, avec 923 immeubles de bureaux pouvant être transformés. Montréal suit de près avec 611, alors que Vancouver et Calgary ont respectivement 548 et 521 immeubles de bureaux adaptables. Ces chiffres montrent qu’il est possible de réaménager les structures de bureau existantes pour répondre à la demande croissante d’unités d’habitation dans ces centres urbains.

Deuxièmement, à l’échelle du pays, il y a eu un retour au bureau lent mais constant dans de nombreux secteurs. Cela pourrait stimuler la demande de propriétés commerciales. À l’expiration des baux, il est possible que les espaces de travail traditionnels soient réaménagés afin de répondre aux exigences des régimes de télétravail.  Il pourrait valoir la peine d’envisager la conversion de propriétés entièrement commerciales en propriétés à usage mixte. Ces propriétés à usage mixte peuvent demeurer attrayantes pour leurs propriétaires actuels tout en attirant de nouveaux investisseurs ayant une expertise en construction et en livraison d’immeubles résidentiels. Ces deux groupes de propriétaires peuvent tirer parti de leur expertise respective et limiter le risque global au maximum.

Considérations relatives à la gestion des locataires pour la conversion d’immeubles commerciaux en immeubles résidentiels

La conversion de propriétés commerciales en propriétés résidentielles peut être intéressante, mais elle est souvent accompagnée du coût important de l’annulation des contrats de location existants si la propriété n’est pas entièrement vacante. Par ailleurs, si seulement une partie de l’immeuble est convertie, les propriétaires pourraient être confrontés au défi logistique de déplacer les locataires d’un étage à l’autre pour isoler les locaux destinés à la conversion. Lorsqu’ils passent d’une utilisation commerciale à une utilisation résidentielle, les propriétaires doivent composer avec les répercussions juridiques, financières et fiscales découlant de la résiliation des contrats de location avec les locataires actuels tout en veillant à ce que les zones désignées soient libérées et aménagées en vue du processus de conversion. Selon les modalités des contrats de location et les conditions du marché, les propriétaires pourraient subir des pertes financières en raison de périodes d’inoccupation pendant la conversion.

Le paiement de l’annulation d’un contrat de location peut être déductible pour la durée restante du contrat, plus toutes les périodes de renouvellement.  Ces déductions aux fins de l’impôt peuvent constituer une sorte de subvention pour ces dépenses considérables en vue de la conversion.  De même, les paiements visant à inciter de nouveaux locataires qui pourraient mieux convenir à une propriété à usage mixte peuvent eux-mêmes prévoir des déductions accélérées dans certaines circonstances. Il est également possible que ces paiements soient réputés inclure la TPS/TVH et la TVQ, ce qui pourrait permettre au propriétaire de demander des crédits de taxe sur les intrants ou des remboursements à l’égard de ces taxes.

L’accumulation de ces dépenses préparatoires devrait être organisée de manière à minimiser le revenu net aux fins de l’impôt et, dans certains cas, à créer des pertes pour l’année courante qui pourront être utilisées dans le futur. Bien entendu, cela repose sur l’hypothèse que, compte tenu du rendement général de ces espaces de bureau commerciaux pendant la période de la pandémie et par la suite, les pertes générées pendant le processus de conversion ne pourraient pas être utilisées à l’encontre de profits d’années précédentes et ne pas permettre de récupérer des impôts des années antérieures.

La structure de détention

La conversion d’un espace commercial en un immeuble résidentiel ou à usage mixte peut nécessiter un partage de propriété du bien sous-jacent en prévision du projet de conversion ou de sa conclusion. À titre d’exemple, il peut y avoir des situations où seulement certaines parties de la propriété commerciale peuvent faire l’objet d’une conversion et où les nouveaux investisseurs voudront rester propriétaires de la partie de la propriété consacrée uniquement à la location résidentielle ou à la vente de condominiums. Dans ce cas, il pourrait être avantageux de diviser la propriété existante en différentes parties pour tenir compte des conditions commerciales des investisseurs. Tout cela doit être géré de manière à ne pas générer de disposition de la propriété dans son ensemble par le propriétaire actuel aux fins de l’impôt sur le revenu. Autrement, un impôt sur le revenu important et inopportun pourrait en résulter.

On peut aisément imaginer que chaque propriété commerciale aura ses propres défis et possibilités de conversion. Par conséquent, il faudra des documents bien organisés – des plans, des budgets et des conditions de souscription des investisseurs – pour définir une structure de propriété qui fonctionnera pour tous les intervenants qui participent à la conversion. Les simples structures de propriété toutes faites d’avance ne seront pas optimales dans de tels cas.

Location résidentielle ou condominium à vendre

Les propriétés à usage mixte peuvent comprendre des condominiums à vendre et des unités résidentielles à louer. Aux fins de l’impôt sur le revenu, la distinction peut donner deux résultats différents. Pour cette discussion, nous supposerons que la valeur dépasse le coût de la partie de la propriété réputée vendue dans le cas de chaque conversion d’un immeuble locatif commercial en condominiums à vendre et dans le cas de la conversion d’un immeuble locatif commercial en unités résidentielles locatives.

Condominium à vendre

Le passage des loyers commerciaux à la vente de condominiums peut – ou pas – en soi, produire une disposition aux fins de l’impôt sur le revenu. Toutefois, un tel changement peut avoir une incidence sur l’imposition du gain final au moment de la vente.  Cela peut représenter une différence dans les taux d’imposition sur le revenu et, au bout du compte, aura une incidence sur le montant du revenu à inclure aux fins de l’impôt au moment de la vente.  Habituellement, les propriétaires d’immeubles locatifs réaliseront un gain en capital (dont la moitié seulement est imposable) sur la vente ultime de leur propriété. En revanche, la vente de logements en copropriété (condominiums) mène à l’inclusion complète des revenus.

La position de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») sur la conversion de la totalité ou d’une partie d’une propriété locative en condominiums à des fins de vente est incertaine, mais l’ARC a fourni des directives administratives sur le moment où la conversion a lieu. Par exemple, la propriété ne serait pas réputée comme ayant été aliénée au moment de la conversion. Cela dit, le propriétaire ne doit pas continuer de demander l’amortissement aux fins de l’impôt pour la partie de la propriété qui a été convertie. Le gain sur la vente finale de la propriété en tant que condominium destiné à la vente comportera un mélange de gains en capital et de revenus.

En revanche, la jurisprudence laisse entendre que la conversion d’une immobilisation en biens en inventaire peut être considérée aux fins de l’impôt comme une disposition de l’immeuble dans son intégralité ou en partie[4]. Cela pourrait donner lieu à un impôt à payer immédiatement. Le seul avantage ici, c’est qu’il peut y avoir une certaine certitude quant au traitement des gains en capital de la propriété réputée avoir été aliénée à ce moment-là. L’ARC a ouvertement laissé entendre qu’elle n’appliquerait pas cette jurisprudence.

Du point de vue des taxes de vente, la conversion d’une propriété commerciale en condominiums destinés à la vente ne constituerait vraisemblablement pas un changement d’usage, puisque la vente de logements en copropriété constituerait une fourniture taxable (tout comme la location d’un immeuble commercial).

Il sera essentiel de comprendre les différents résultats et paramètres pour obtenir le résultat escompté.  Pour ce faire, vous devrez interagir avec vos conseillers au début de la phase de démarrage de la conversion de la propriété.

Location résidentielle

Opter pour la conversion en logements locatifs peut fournir un flux constant de revenus locatifs, offrant de la stabilité et un potentiel d’investissement à long terme. Les propriétaires peuvent déduire de leurs revenus de location leurs dépenses admissibles et demander une déduction pour amortissement sur les biens amortissables. Le fait de passer de la location de locaux commerciaux à celle d’unités résidentielles donne plus de certitude quant au résultat de toute transition aux fins de l’impôt sur le revenu.  Le traitement fiscal avant et après la conversion en unités résidentielles locatives devrait demeurer le même, c’est-à-dire vraisemblablement un traitement de gain en capital sur la vente finale de la propriété convertie.

Cela dit, il peut y avoir des considérations liées aux taxes de vente à prendre en compte. Dans le cadre de tout projet immobilier menant à la construction d’unités résidentielles locatives, il y a une autocotisation et un paiement de taxe de vente calculée sur la juste valeur marchande sous-jacente de la propriété une fois qu’elle est disponible pour la location.  Cette autocotisation des taxes mène en général à un important paiement de taxes. Comme il a été mentionné précédemment, l’annonce du gouvernement fédéral du 14 septembre 2023 pourrait avoir une incidence favorable pour un propriétaire qui entreprend la conversion d’un immeuble commercial.  Au moment de la rédaction de cet article, les détails de cette proposition n’étaient pas disponibles.

À la suite de la conversion, une propriété à usage mixte qui comprend des unités locatives résidentielles se traduirait par une diminution du pourcentage des activités commerciales du propriétaire et, par conséquent, réduirait les crédits de taxe sur les intrants ou les remboursements auxquels le propriétaire a droit, ce qui entraînerait des coûts d’exploitation supplémentaires. Ce coût supplémentaire de TPS/TVH et de TVQ doit être pris en considération dans le modèle financier du propriétaire. C’est le cas si la partie résidentielle de l’immeuble demeure sous la même propriété que sa partie locative commerciale.

Autres considérations

En fin de compte, le choix entre la conversion en condominiums ou en logements locatifs dépend des objectifs financiers du propriétaire, de sa tolérance au risque et des conditions particulières du marché de l’emplacement en question. Les deux options présentent des avantages et des inconvénients, et il est essentiel de mener une analyse approfondie bien avant d’aller de l’avant avec un projet.

Une stratégie de financement complète et une analyse technique des considérations fiscales sont essentielles pour réussir la transition d’une propriété commerciale à une propriété résidentielle. Les propriétaires devraient collaborer avec des conseillers financiers, des fiscalistes, des prêteurs et des professionnels de l’immobilier afin de créer un plan financier solide qui appuie les objectifs du projet de conversion. Alors que le paysage de l’immobilier continue d’évoluer en réponse au changement de la dynamique du travail et des besoins en matière de logement, une planification minutieuse demeure l’une des pierres angulaires permettant de s’adapter à ces grandes transformations.